INTERVIEW. « S’occuper d’un enfant, ça s’apprend » : fatigue extrême, baby blues… les dessous de la maternité

Publié le 05/03/2023 par Solène V ,
Interview. Camille Abbey, co-autrice de Mères sans filtre, nous raconte son expérience de la maternité et tente de déconstruire les clichés autour de cette période.
Les dessous de la maternité
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Entre la dépression post-partum, le baby blues, la fatigue extrême ou encore la charge mentale… la maternité n’est pas toujours évidente à gérer. D’autant plus que la société tente, trop souvent, de nous dicter des comportements de « mère parfaite ». Mais à travers l’ouvrage Mères sans filtre, publié aux Editions Solar, huit femmes tentent de déconstruire les clichés et stéréotypes autour de cette période difficile. Un récit, une prise de conscience et un déclic féministe qu’elles ont souhaité partager à travers leurs témoignages émouvants. Camille Abbey, 35 ans et maman de jumeaux, est l’une des autrices du livre. En exclusivité pour Trendy, elle nous raconte son expérience, pour libérer la parole sur la maternité.

Mères sans filtre, de quoi ça parle ?

Camille Abbey : Mères sans filtre, c’est un projet qui a commencé à germer pendant ma grossesse. J’ai commencé à m’intéresser aux questions de la maternité, avec un prisme féministe, car j’étais déjà engagée dans ce domaine. J’avais envie de faire un livre qui liait ces deux thématiques. Mais j’ai eu mes jumeaux, donc je n’ai pas eu beaucoup de temps pour l’écrire. J’ai eu envie de creuser, de savoir comment certaines mères féministes avaient vécu le déclic lié à la maternité. Le but étant, à travers leurs récits, de connaître l’envers du décor. Et faire un livre collectif, permet d’apporter plusieurs points de vue, avec des histoires différentes dans lesquelles toutes les mères pourraient se reconnaître.

En quoi c’était important de libérer la parole autour de ces sujets ?

Camille Abbey : Il existe de nombreuses thématiques qui s’inscrivent dans la vie des femmes et des mères. On ne s’en rend pas compte, mais c’est un bouleversement total ! Il y a d’abord la question de la charge mentale dans le couple. La plupart du temps, c’est la femme qui l’assume. Encore aujourd’hui, je pense que 70% des tâches domestiques et parentales sont gérées et effectuées par les femmes. Et quand le premier enfant naît, il y a un certain déséquilibre dans le couple. Probablement dû au fait que le congé maternité est plus long que le congé paternité. Il y a donc une nouvelle mécanique qui s’installe.

Pourquoi pensez-vous que la charge mentale est plus souvent assumée par les femmes ? Car finalement, les deux deviennent parents…

Camille Abbey : Très bonne question ! C’est le fruit d’une histoire et de croyances. Le mythe de l’instinct maternel… Beaucoup de personnes y ont cru et y croient encore. A savoir que la mère serait plus apte à s’occuper de l’enfant. Mais c’est simplement une question d’expérience : plus on s’occupe d’un enfant, plus on sait s’en occuper et plus un lien se crée. S’occuper d’un enfant, ça s’apprend. Heureusement, les choses commencent un peu à changer, il y a une nouvelle génération de père qui est plus investie… Il y a aussi pas mal de tabous dans les difficultés maternelles. Qu’on soit tout le temps obligé de donner une image parfaite de la maternité. « C’est que du bonheur », ce genre de choses. Alors qu’en réalité, c’est bien plus compliqué que ça. Et puisque personne n’en parle, les femmes se sentent souvent isolées et seules. Il suffit juste d’être accompagné et aidé.

Ce rôle de mère parfaite, on nous l’impose. Car en réalité, la maternité n’est pas vécue de la même manière pour toutes les femmes…

Camille Abbey : Exactement. Il peut y avoir un côté très épanouissant, et ça peut très bien se passer. Mais il y a plein de cas différents. On ne sait pas vraiment comment on va le vivre avant de le vivre. Mais il faudrait libérer la parole sur ces choses que la plupart des femmes vivent. Par exemple, l’allaitement. Ça ne se passe pas toujours très bien au début. Le lien avec le bébé n’est pas toujours instantané. Il y a une dose de fatigue très impressionnante, à laquelle on ne s’attend pas. Il peut également y avoir des séquelles physiques et psychologiques. Ce sont environ 15 à 20% des femmes qui font des dépressions post-partum… Ce sont des choses dont on entend peu parler.

Et vous, comment avez-vous vécu votre grossesse et votre maternité ?

Camille Abbey : Chaque cas est différent. Personnellement, j’ai été enceinte de jumeaux et j’ai plutôt bien vécu le début de ma grossesse. Peut-être car c’était pendant le premier confinement, donc j’étais dans un petit cocon de protection. C’était assez agréable. Mais je sais qu’il y a beaucoup de femmes qui ne le vivent pas bien. Parce que parfois, durant les trois premiers mois, on est obligé de travailler et de cacher notre état. Parce que c’est tabou et que ça peut poser des difficultés. Et moi, je n’ai pas eu à affronter ça. En revanche, la fin de la grossesse était plus compliquée car j’ai dû être alitée. J’avais des contractions, donc là, c’était moins drôle. En plus, j’ai accouché à 7 mois, de façon prématurée, comme 50% des mères de jumeaux. Ensuite, ils sont restés à l’hôpital pendant 1 mois. Et quand ils sont enfin rentrés à la maison, j’étais très heureuse de les avoir avec nous et de pouvoir m’occuper d’eux. Mais quelques mois après, il y a la fatigue qui a commencé à s’accumuler. Au début, on dort très peu. J’ai vraiment ressenti une fatigue extrême. Et je trouve qu’on n’en parle pas assez.

Autre sujet qu’on n’évoque pas souvent : la sexualité dans le couple après la naissance des enfants. En quoi peut-elle être altérée, aussi bien que la féminité ?

Camille Abbey : C’est ce qu’on appelle le baby clash. Ça bouleverse tellement le quotidien et la façon de vivre… Et finalement, l’identité aussi. On passe de personne un peu dépendantes en couple, à une cellule familiale à plusieurs personnes. Donc ça change un peu l’équilibre. Et le fait qu’il y ait beaucoup de pères qui ne s’occupent pas autant des enfants que la mère, ça peut créer des tensions. Il y a certains éléments qui amènent de l’irritabilité au sein du couple, comme la fatigue par exemple. C’est une période de bouleversement assez intense, qui peut rebattre les cartes et amener des fragilités. Je pense que les gens qui croient qu’un enfant solidifient un couple, se trompent.

Pensez-vous que l’enfant peut ressentir la détresse de sa mère ?

Camille Abbey : Certains psychologues disent que les enfants sont des éponges. Donc si ça ne va pas très bien dans le foyer, ils vont sûrement le ressentir. Mais parfois, les mères culpabilisent un peu trop, en se mettant tout les peines sur les épaules. Ce qui a tendance à leur mettre une pression supplémentaire. Cela créé un cercle vicieux de culpabilisation. D’ailleurs, certains événements sont normaux, comme le baby blues par exemple. La mère peut alors se sentir un peu triste, elle a envie de pleurer, elle est fatiguée… C’est normal et c’est lié à la chute d’hormone. Il y a aussi la dépression post-partum, qui peut intervenir entre la naissance et les 2-3 ans de l’enfant. Il s’agit d’une véritable dépression, qui dure plus longtemps que le baby blues. Par conséquent, la mère est fatiguée, elle n’arrive pas à s’occuper de son enfant, elle culpabilise… ce sont des symptômes qui doivent alerter. Il faut le prendre au sérieux, et ça se soigne ! Le tout est d’être accompagnée et suivie.

Y a-t-il une définition de « bonne mère » ?

Camille Abbey : Chaque mère fait comme elle peut. Je pense qu’il n’y a pas de définition précise. Elles font comme elle peuvent et c’est déjà beaucoup. Evidemment, il y a des choses qui pourraient être mises en place pour les aider.

Que retenez-vous de votre expérience de la maternité ?

Camille Abbey : Je suis hyper heureuse d’être mère. C’était un souhait. Et je n’ai pas été déçue, je suis heureuse de m’occuper de mes enfants au quotidien. Mais il y a des choses auxquelles j’aurais aimé être mieux préparé. Je pense qu’il y a énormément d’aspects qui peuvent être améliorés grâces à des mesures sociétales et à la libération de la parole à ce sujet. C’est aussi pour ça que Mères sans filtre peut faire réagir des gens qui n’ont pas encore d’enfants, ceux qui en veulent ou ceux qui en ont déjà. Le livre peut permettre de mieux comprendre ce qu’il se passe au sein des foyers.

A travers Mères sans filtre, quels messages souhaitez-vous faire passer ?

Camille Abbey : Chaque maternité est différente. On ne peut pas vraiment anticiper. Mais on peut essayer de s’informer, de discuter… pour se préparer au maximum. Mais aussi, dire aux mères de faire du mieux qu’elles peuvent, sans culpabiliser. Il y a déjà beaucoup de gens ainsi que tout un passé qui mettent la pression sur les mères… qu’elles doivent être des mères sacrificielles, qui donne tout et font toujours passer les autres en premier. L’idée est de ne pas se mettre trop de pression !