Entretien d’embauche : j’enlève mon piercing ou pas ?

Nul doute, si les boucles d’oreilles pour les femmes sont-elles très bien acceptées, le piercing passe encore très mal. En témoigne la réaction de Sylvie (le prénom a été modifié), ancienne recruteuse au sein de Logica, une entreprise européenne de services en informatique. Elle se souvient d’un entretien avec une jeune femme qui devait intégrer une équipe juridique et arborait, outre « une allure très soignée », un anneau dans le nez. Pour Sylvie, le constat est sans appel : « Je n’avais pas de jugement sur le fait que ce soit esthétique ou pas mais en tous cas elle ne pouvait pas conserver ce piercing et faire ce genre de job, avoue-t-elle. Il faut se donner le plus d’atouts possible et venir avec un piercing peut encore nuire. Le milieu professionnel est encore rempli de codes « , ajoute-t-elle.

Dans un autre secteur, celui des assurances, Virginie Le Mée, directrice des risques et du contrôle interne chez MACSF (un assureur dédié aux professionnels de la santé) abonde dans le même sens : « Cela a un petit côté rebelle. Mais certains sujets doivent s’exprimer dans l’entreprise et d’autres à l’intérieur, argumente-t-elle. Si je mets une personne avec un piercing face au patron de la boîte, il pourrait me demander de la virer tout de suite. Je ne vais pas m’exposer à des problèmes de fonctionnement », ajoute-t-elle. La responsable, qui a exercé pendant 20 ans chez Axa et recruté selon elle « tous types de populations », pointe aussi le risque, selon elle, d’une pente glissante :  » Après, il n’y aura plus de limite. Et pourquoi pas venir en jean et baskets? Ou avec les cheveux sales ? Le piercing est pour moi une provocation quand il est employé dans un milieu comme l’assurance, un milieu austère avec des codes vestimentaires, un peu comme la banque ».

Cela dépend du piercing…

Le piercing déplaît, mais certains recruteurs seront cependant plus tolérants… en fonction de l’endroit où est porté l’objet et de la personne qui le porte. Tous les recruteurs que nous avons interrogés acceptent ainsi les boucles d’oreille pour les femmes. Pour les hommes, c’est une autre paire de manche : « La boucle d’oreille est plutôt un symbole féminin. Portée par les hommes elle représente autre chose » , affirme Virginie Le Mée.

Rajiv, gérant du restaurant Le Maharajah à Paris, dans le 5e arrondissement, accepterait quant à lui volontiers un homme avec une boucle d’oreilles, si celle-ci n’est pas « trop visible » : « Je préfère quelqu’un qui vient avec un costume, bien rasé et propre sur lui avec un piercing que quelqu’un qui viendrait en jean, mal rasé, sans piercing ».

Pour les femmes, va pour un bijou sur la langue ou sur le nez : « Je trouve ça même élégant, cela fait un peu indien », explique Rajiv qui est justement d’origine indienne. Il serait en revanche gêné par « des piercings inhabituels » comme « à la lèvre ou sur l’arcade sourcilière ». « Je ne sais pas trop comment je réagirai », lâche-t-il. Et pas de tolérance en revanche pour la langue ou le nez s’il s’agit d’un homme : « Je lui demanderai avant de le recruter s’il accepte de l’enlever pendant le service », avance Rajiv, qui met en avant le fait que les « bijoux ou accessoires esthétiques sont davantage acceptés pour les femmes que pour les hommes ».

…et du job

L’importance de ne pas afficher de signes distinctifs va dépendre aussi du milieu dans lequel vous allez évoluer et du poste, notamment si vous êtes ou non amené à rencontrer des clients. « Pour les cuisiniers je m’en fiche complètement », explique ainsi Rajiv. Pour Sylvie, cela dépend aussi si le poste requiert « d’avoir de l’autorité ».

Quant à Virginie Le Mée, même sans contact avec le client, tout employé a selon elle une « image » qui doit concorder avec les valeurs de l’entreprise. « Les jeunes qui vont en entretien doivent se renseigner sur les codes de l’entreprise, appuie Sylvie. S’ils vont travailler dans la publicité, c’est plus ouvert. Mais pas la peine de faire un entretien dans une entreprise où les codes ne leur vont pas ».

Mieux vaut en parler pendant l’entretien et être à l’écoute

Si vous tenez vraiment à votre bijou mais que vous décidez de le laisser de côté pour l’entretien d’embauche, mieux vaut en parler dès cette première entrevue pour garder de bonnes relations avec votre employeur, en évitant de lui causer une surprise ultérieure qui pourrait être vue comme un manque de transparence de votre part. Et restez à l’écoute, cela pourra jouer en votre faveur si le recruteur est hésitant. Ainsi Sylvie affirme ne pas avoir « donné suite » à une candidate venue avec un piercing sur la langue et un sur le nombril « non pas forcément à cause des piercings eux mêmes mais de sa réaction ». « J’étais ouverte à la discussion… mais dire ‘non pas question’, c’est une attitude un peu difficile. Il faut au moins écouter les raisons pour lesquelles ça peut poser problème » , fait-elle valoir.

Arborer un piercing pendant un entretien tout en restant ouvert peut même être un « plus » par rapport à un candidat lambda. Ainsi Sylvie a trouvé « intéressante » et « pleine d’imagination » cette jeune fille « un peu différente de la norme » venue avec un piercing, et qui a accepté pendant l’entretien de ne pas le mettre devant les clients.

Vous êtes flexible ? Alors abandonnez le piercing

Si vous ne tenez pas plus à votre bijou qu’à votre job, évitez de venir en entretien avec et abandonnez-le pour un temps. Vous pourrez éventuellement le retrouver plus tard, une fois que vous connaîtrez mieux la culture de l’entreprise et ses limites. Et surtout, lorsque vous vous serez rendu indispensable, comme l’admet Sylvie: « C’est une fois reconnu qu’on peut faire changer les choses. J’attends avec plaisir qu’un patron du Cac 40 vienne casser les codes avec un piercing, comme Jacques-Antoine Granjon avec ses cheveux longs (fondateur de vente-privee.com, ndlr). Il faut savoir rentrer dans le moule pour faire ensuite la révolution! ».

Que dit le code du travail ?

Rappelons que le code du travail interdit toute discrimination au recrutement fondée sur l’apparence physique, le sexe, les moeurs, l’identité sexuelle ou l’orientation sexuelle, mais permet d’imposer lorsqu’il y a un contact avec la clientèle une « tenue correcte », notion encore floue…

Des employés travaillant dans la restauration, un magasin de meuble ou un supermarché ont déjà obtenu gain de cause pour leur boucle d’oreille ou piercing mais d’autres se sont vus obligés de porter une cravate.

Et s’il y a de grandes chances pour que refuser le recrutement d’un homme pour une boucle d’oreille soit retoqué en justice, il est en revanche très difficile de prouver que l’on a bien été écarté d’un recrutement pour cette raison…