Tout le monde a un(e) meilleur(e) ami(e) sauf moi…

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Publié le 26/06/2015 par TRD_import_MariaPoblete ,
Des copains ou des copines, des connaissances, des potes, vous en avez beaucoup. Mais l'unique, le seul ou la seule a qui vous imaginez tout pouvoir dire sans tabou, non ? Cela s'explique et ce n'est pas dramatique.

« C’était comme un coup de foudre, le premier jour du collège, je ne connaissais personne, on s’est regardées, on s’est assises à côté l’une de l’autre et on ne s’est plus quittées, se souvient Andrea, 19 ans, en prépa arts appliqués à LISAA [Institut supérieur des arts appliqués, NDLR] de Rennes [35]. On partageait vraiment tout, les gros soucis comme les petits détails de la vie quotidienne, nos menus, nos jeux, nos conversations en famille et nos états d’âme ! On n’avait pas d’autres amis, on se suffisait à nous-mêmes… Puis en arrivant au lycée, je me suis ouverte au monde, je n’avais plus besoin d’avoir une relation exclusive.  » À mi-mot, Andrea évoque la protection du double amical qui aide à « supporter » le collège.

« J’avais besoin de me rassurer, je ne me sentais ni aimé ni soutenu »

C’est précisément cet alter ego que regrettait ne pas avoir Louis, 16 ans, en première S au lycée Gilles-de-Gennes à Digne (04). « C’est difficile de ne pas avoir de meilleur ami, dit-il. Il y a des tas de sujets qu’on n’aborde pas avec des connaissances, on ne se livre pas avec des gens de passage ; ce sont toujours des discussions en groupe, pas une conversation de quatre heures passée avec quelqu’un, en tête-à-tête. »

Cette solitude qu’il associe à l’absence de meilleur ami, Louis l’a transcendée grâce à une psychologue. « J’étais anxieux et j’avais besoin de me rassurer, je ne me sentais ni aimé ni soutenu. » Louis a compris que cette recherche d’alter ego correspondait à un idéal, une vie rêvée. Et a admis que des amis, on pouvait en avoir plusieurs !  » Les amis sont précieux à tout âge, mais à l’adolescence, leur place est fondamentale , explique Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne. S’éloigner des parents, c’est aller vers l’inconnu, c’est inconfortable ; l’amitié devient un socle social, elle aide à garder la confiance en soi, rassure. « 

« Ne pas avoir un paquet d’amis ou de meilleur ami n’est pas un drame »

Sans ses amis, Amélie, 15 ans, en seconde au lycée Lucie-Aubrac à Bollène (84), « est comme absente, nulle, transparente, fade et triste ! C’est hyper-important, ça passe avant tout. J’adore discuter de tout et de rien, des profs, des devoirs, des galères au lycée, et puis, j’ai l’impression que je vérifie que je suis normale. »

L’amitié devient une sorte de thermomètre du bien-être. Ça agace Mathieu, 17 ans, en terminale S au lycée Dorian à Paris. Il est un être « solitaire qui s’assume… pas comme mes parents qui me trouvent bizarre ! » « Quand j’ai raconté à ma mère que je marchais à midi pour ne pas rester seul dans la cour, elle a fait une crise et a pris rendez-vous avec ma prof principale, la honte ! Moi, je suis bien comme ça, je réfléchis en marchant, je peaufine mes programmes informatiques dans ma tête, je ne suis pas malheureux », raconte Mathieu, le solitaire.

« À l’heure actuelle, il faut être performant partout, même dans la vie amicale, analyse Béatrice Copper-Royer (voir l’encadré ci-dessous). La cour de récréation se divise en deux camps, les populaires et les bolos. Des parents voudraient que leur enfant soit chef de bande avec l’idée qu’il gardera cette place toute sa vie, fera de bonnes études et aura un bon boulot… En réalité, ce sont leurs angoisses qu’ils projettent. » La psychologue lance un message aux parents : rassurons plutôt les jeunes réservés. Tout le monde n’est pas extraverti dans la vie, certaines personnes parlent beaucoup et aiment être entourées. D’autres ont besoin de leur jardin secret. Nous savons bien, aussi, que ces « grandes gueules » sont parfois pénibles… Et ne pas avoir un paquet d’amis ou de meilleur ami n’est pas un drame.

« La dépendance à une seule personne, cela peut être négatif « 

« Tout à fait d’accord », s’exclame Emma. Élève en première S au lycée Henri-IV, à Paris. Elle a toujours vécu sans s’attacher à une seule et unique amie… et ne s’en porte pas plus mal ! « J’ai un tempérament indépendant, cela ne me gêne pas de ne pas avoir de meilleure amie, unique, raconte-t-elle. Si j’ai un problème, je saurai à qui me confier, mais ça va assez bien au lycée, et puis, je fais du sport, je sors. » Elle reconnaît que certains ont besoin d’une relation exclusive, des personnes plus timides par exemple, qui ne se sentent bien qu’avec une seule personne. Souvent, cela peut être en effet une étape nécessaire pour avancer ensuite sans poisson-pilote.

En première S également au lycée Henri-IV, Maeva, 16 ans, se souvient : « J’ai rencontré ma meilleure amie au CM1. Elle n’est pas dans mon lycée mais je sais que si j’ai un problème c’est à elle que je penserai d’abord, c’est la base, le socle. Il faut faire attention : la dépendance à une seule personne, cela peut être négatif. Au lycée, on se mélange, c’est très enrichissant, ça avance dans le bon sens. On n’appartient à personne !  » Lou, 16 ans, en première S au lycée Racine à Paris, et amie de Maeva témoigne :  » On ne se dit pas tout, mais les choses importantes, oui ; avec les amis du lycée, on se raconte des histoires mais je ne parle pas de mes problèmes – je trouve que c’est déprimant pour tout le monde. Avec Maeva, on fait aussi le point sur nos familles. C’est pratique, chacune a l’histoire de l’autre en tête, il n’y a pas tout à réexpliquer. » En cas de pépin, le meilleur ami est là, présent, prêt à écouter. Il peut tout entendre, tout comprendre. Certes. Et si la relation se déséquilibre ? Ouille, ça douille !

« Ne pas se laisser manipuler par une seule personne »

Ne parlez plus à Luna, 17 ans, en terminale S au lycée français de Bruxelles, de « meilleure amie ». Elle n’est pas prête d’oublier son « chagrin d’amitié ». « Notre idylle – oui, c’est le mot – a duré 5 ans, raconte la jeune fille, avec des tremblements dans la voix. On était en fusion, tout le temps ensemble. Quand elle a rompu, j’ai été très déprimée, comme si j’avais été abandonnée, et je n’avais aucune amie à part elle ! » Luna réalise, deux ans après cette rupture, qu’elle en attendait trop. Grandir, c’est accepter ce que l’autre peut vous donner et c’est aussi ne pas lui demander ce qu’il ne peut pas donner (dans ce cas : tout !). Surtout, c’est comprendre que l’on peut grappiller chez l’un et l’autre des choses. Et ne pas se laisser vampiriser ou manipuler par une seule personne et se fermer aux autres.

« Pour créer des amitiés, il ne faut pas être trop insistant, mais naturel, sincère »

Comme dit Lucas, 17 ans, en première ES au lycée Racine à Paris, « vagabonder et découvrir plein de gens différents, c’est plus intéressant ! ». L’amitié exclusive est derrière lui. « J’ai eu un meilleur ami au collège, dit-il. On partageait l’actualité, les amours, des choses ridicules et des trucs importants ; il m’a aidé à avancer, on se critiquait, on se faisait des remarques sur le comportement et la manière d’être : c’était positif. Mais je nuance : si on est bien dans ce monde juste à deux, on ne s’ouvre pas, on se replie sur son ami, on perd le lien avec d’autres, on se prive d’autrui et c’est dommage ! « 

Moralité : avoir une bande d’amis, c’est vraiment bien ! Comment la faire naître ? Écoutez Lou, en première S au lycée Racine à Paris : « Pour créer des amitiés, il ne faut pas être trop insistant auprès des autres, mais naturel, sincère. Il y a des gens dont vous voulez être proche ? Alors soyez sympathique, souriant et ouvert, la rencontre aura lieu simplement et le lien se forgera avec le temps. » Surtout, il ne faut jamais forcer l’amitié.

Avis d’expert : « L’amitié peut empoisonner  »

Béatrice Copper-Royer est psychologue clinicienne et auteure de « Quand l’amour emprisonne », Albin Michel, 2015.

« Comme l’amour, l’amitié peut rendre malheureux et enfermer. L’adolescence est un moment délicat où une emprise sur l’autre est possible. D’autant que l’ami(e) est auréolé(e) d’un environnement familial, social, amical qui rejoint un idéal. Ce peut être des parents plus cool, plus aisés, avec des métiers passionnants, un père valorisant, une mère très jolie. Le risque est alors de voir naître une relation dépendante. Plus l’adolescent manque de confiance en lui, plus il risque d’être fasciné par l’aisance de l’autre. Il le met alors sur un piédestal, en fait son idéal absolu et n’imagine pas la vie sans lui.

Cette dépendance alourdit le lien. L’autre risque de se sentir oppressé par une attente hors du commun, surdimensionnée ou profiter de son pouvoir pour manipuler. Ce sont des excès dont il est important d’être conscient pour les éviter. Â l’âge adulte, les amitiés toxiques aussi font mal, et il est indispensable de s’en protéger. »