Réseaux sociaux : pourquoi a-t-on tellement besoin de « like » ?

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Publié le 11/11/2015 par TRD_import_MarieKirschen ,
Combien de like, de retweets et de coeurs avez-vous glanes cette semaine sur les reseaux ? Avouez-le, vous scrutez parfois de maniere compulsive les preuves de partage de vos posts… Au risque de perdre un peu de vue les choses reellement importantes ?

« Je ne laisserai plus jamais un nombre de like dicter ma vie ». Il y a quelques jours Essena O’Neil a décidé de quitter les réseaux sociaux. Pourtant, cette jeune Australienne comptait plus d’un demi-million de followers sur Instagram et sa chaîne Youtube lui rapportait 2.000$ par mois. « Je rejette les médias sociaux tels qu’ils sont maintenant » lance cette jeune femme de 18 ans dans une vidéo où elle explique son geste, désormais supprimée. « Il m’arrivait de passer des heures à regarder et envier la vie parfaite des autres sur Instagram et tout faire pour que la mienne y ressemble. »

Le nombre de « like », un audimat intime ?

Elise comprend bien les sentiments exprimés par Essena O’Neil. Cette étudiante en droit a quitté Facebook il y a près de deux ans. « Je me suis rendu compte que lorsque je postais une photo de moi, j’avais surtout envie que les gens me remarquent, qu’on me trouvent belle et qu’on m’envie. Et ça m’a gêné. Je me demandais : ‘est-ce qu’ils vont aimer ce que j’ai posté aujourd’hui ?’ J’ai surnommé ça ‘l’applaudimètre’. »

Léa a, elle aussi, goûté aux joies des « j’aime », avant de quitter Facebook et Instagram il y a quelques semaines. « Il y a un réel plaisir à voir ses images accumuler les ‘cœurs’, c’est parfois un peu enivrant, narre cette étudiante en sciences politiques. Surtout quand c’est une personne que j’aime bien mais que je ne connais pas encore très bien qui me ‘like’ : ça me booste le moral. »

On connaît tous cette petite joie de voir un de nos posts plébiscité. Mais la volonté d’être aimé peut parfois tourner à l’obsession. Comme quand Essena O’Neil révèle avoir posé « presque 100 fois pour que mon ventre soit beau » pour prendre une simple photo d’elle en bikini. Comment expliquer que ce besoin de validation extérieure devienne si imposant ? « À certains moments, on a des baisses d’estime de nous-même », commente le psychologue Michaël Stora. « Ça arrive à tout un chacun et il faut bien trouver des espaces de récompenses. Les retours que l’on va avoir vont venir remplir une sorte de jauge narcissique, qui va nous permettre d’aller mieux. C’est une forme d’audimat intime. Pour certains, ces réseaux que l’on va consulter de manière quasiment compulsive ont une fonction de doudou, qui permet de se sentir être. »

Les réseaux sociaux, est-ce bien (f)utile ?

Pour se réconforter, on va donc publier une photo à notre avantage, une information qui nous valorise, un statut qui nous donne l’air intelligent ou hype… Au point de, parfois, s’inscrire dans une démarche très égocentrique. « C’est ‘moi je, moi je, moi je' », regrette Elise.

Pour Michaël Stora, ce risque est d’autant plus vrai que ces sites sont construits d’une manière bien particulière. « Instagram, ce n’est que de l’image ; Facebook est l’Internet où on relaie juste son quotidien ; avec ses 140 caractères, Twitter vous enferme dans une pensée courte… Il y a une rencontre entre une tendance sociétale, qui est très narcissique, et la manière dont ces sites sont faits. »

Résultat : une impression de n’être que paraître peut parfois se faire sentir. Comme le décrit le cofondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH), « cela peut finir par tourner à vide, ou alors vous n’avez plus le nombre de commentaires suffisants, ou vous obtenez des retours négatifs, qui peuvent vous affecter profondément ». Léa en a fait l’expérience. Elle raconte : « J’avais posté une photo de moi sur laquelle j’avais passé beaucoup de temps. Je m’étais soigneusement maquillée, j’avais retravaillé l’image avec des filtres… Et puis, j’ai eu très peu de retours positifs et même un commentaire assez moqueur. L’aspect futile de tout ça m’a filé la nausée, je me sentais ridicule. »

Pour prendre du recul, Essena O’Neil a préféré quitter définitivement les réseaux sociaux. // © Essena O’Neil

Cure de désintox digitale ?

Alors que faire ? Quitter toute virtualité ? Le psychologue conseille de s’interroger sur son utilisation des réseaux, pour prendre du recul. « Si la personne sent que c’est devenu l’unique solution pour exister, on peut penser qu’il y a derrière une souffrance, une fragilité. » Une des solutions pourrait donc être de réinvestir le réel. Et de réaliser qu’il n’y a pas que sur les réseaux que l’on peut se sentir aimé.

Elise a, elle, d’abord essayé de modifier la façon dont elle utilisait Facebook. Une manière de prendre de la distance. « J’ai voulu m’en moquer en mettant des statuts qui n’avaient aucun sens, comme des phrases poétiques. J’avais besoin d’en faire n’importe quoi. » Mais, malgré ça, la jeune fille est resté insatisfaite et s’est donc résolue à quitter la plate-forme. Une décision qu’elle ne regrette pas du tout : « Aujourd’hui j’utilise ces moments libérés pour voir des amis, lire, me balader… J’ai retrouvé du temps pour mon vrai moi. »

Si Léa a aussi préféré s’éloigner un temps des réseaux, pour elle l’arrêt ne sera pas définitif. Elle conseille les quelques semaines de détox qu’elle vient de passer et envisage de rouvrir ses comptes : « Cette cure me fait beaucoup de bien, je pense que je vais pouvoir être plus sereine quand j’y retournerai, plus distanciée ».

Réinvestir autrement les réseaux

Pour Léa, il ne faut pas, non plus, diaboliser ces sites qui peuvent beaucoup nous apporter. Car, évidemment, ils sont aussi ce que l’on choisit d’en faire. « Quand je reviendrais sur les réseaux sociaux, je vais faire gaffe à ce que je vais poster, en mettant moins de choses personnelles par exemple », promet-elle.

Michaël Stora, quant à lui, plébiscite la manière dont ces réseaux peuvent nous aider à lutter contre une certaine timidité. « En France, nous sommes dans une culture où la culpabilité est très présente, où le fait de se montrer n’est pas aussi courant que dans d’autres pays, avance-t-il. Les réseaux sociaux peuvent permettre à des personnes qui sont dans l’inhibition d’oser l’exhibitionnisme, de flirter avec cette limite de l’interdit et je trouve ça très positif. C’est intéressant que quelqu’un puisse oser se mettre en scène, se déguiser, s’imaginer autrement. »

Pas question donc de disparaître complètement des réseaux sociaux, mais plutôt de doser ce qu’on ose y poster.