Récit : faire une thèse, quel enfer !
Véritable marathon solitaire, la thèse fascine autant qu’elle laisse perplexe. Chez ceux qui n’ont jamais vécu cette expérience, elle soulève de nombreuses questions auxquelles les thésards eux-mêmes ont du mal à répondre.
Incompris, accaparés par un sujet à géométrie variable en fonction des conseils de leur directeur de thèse ou de leurs rencontres avec des spécialistes, les thésards vivent une véritable traversée du désert qui peut durer de nombreuses années. Jusqu’au Graal ultime, le couronnement de tous ces beaux efforts : le rendu, et la soutenance. Avec à la clé peut-être, la reconnaissance.
Tiphaine Rivière est une ex-thésarde qui a souhaité raconter sa propre expérience dans son blog, puis dans un roman graphique, à travers son héroïne, Jeanne Dargan. Elle nous prouve une fois encore que l’humour peut venir à bout de bien des désillusions.
Acceptée en thèse, le début de la galère pour Jeanne
Jeanne Dargan est une jeune prof de ZEP. Son domaine ? La littérature. Une discipline dans laquelle elle rêve d’écrire une thèse. Le jour où son projet est accepté, Jeanne est folle de joie, et se lance à corps perdu dans son sujet : « Le motif labyrinthique dans la parabole de la loi du procès de Kafka ». Sans savoir à quel point il prédit la future galère de Jeanne dans les arcanes de l’université française.
Pleine d’enthousiasme, Jeanne se met à disposition et accepte un travail administratif à la fac, aux côtés d’une secrétaire acariâtre et apathique. Son directeur de thèse, le professeur Karpov, a depuis longtemps cessé de s’intéresser aux travaux de ses doctorants et s’est rendu maître dans l’art de l’esquive.
Les thésards, ces grands incompris
Ainsi, Jeanne découvre bientôt les cercles de l’enfer de la thèse (pas sûr qu’il y en ait 7 exactement, mais on s’en approche). Les fiches de lecture qui s’accumulent, le plan qui se métamorphose au fur et à mesure qu’elle défriche, la famille qui voudrait bien comprendre l’intérêt de ses recherches, mais s’impatiente de ne rien voir arriver, le petit copain qui finit par déserter leur cocon amoureux, fatigué de devoir partager sa copine avec Kafka… Les réflexions des inconnus (mention spéciale à la scène de la caissière « ex-thésarde en paléontologie » qui n’est jamais allée au bout de sa thèse)…
Bref, pour Jeanne, le chemin vers l’accomplissement sera long et pavé d’embûches. On découvre entre autres dans cette BD pleine d’esprit, hyper bien documentée (et pour cause !), souvent sarcastique, les inégalités profondes entre un thésard en lettres et un thésard en sciences : « D’abord, les thèses des scientifiques sont toutes financées ; c’est une grande différence avec les sciences sociales et les lettres. Les doctorants font des voyages de recherche, ils ont des moyens que les autres n’ont pas et sont plus encadrés, car les universités mettent de l’argent. Enfin, en règle générale, les gens ont plus d’admiration pour les découvertes scientifiques. Il y a une sorte de respect naturel qui se dégage », affirme Tiphaine Rivière dans son interview sur lemonde.fr.
On ne vous révélera pas, au final, si Jeanne parvient à décrocher la timbale… à vous de le découvrir !
Le teaser de la BD
– Le blog de Tiphaine Rivière : “Le Bureau 14 de la Sorbonne”
– “Carnets de thèse”, de Tiphaine Rivière, éditions du Seuil.