Quand la BD vous fait (re)découvrir l’histoire #3

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Publié le 30/04/2014 par TRD_import_SoniaDéchamps ,
Les evenements qui suivent ont marque la seconde moitie de notre XXe siecle français. Pourtant, vous les avez sans doute oublies, peut-etre meme n'en avez-vous jamais entendu parler. Belle seance de rattrapage en deux albums.

« Lip, des héros ordinaires » , de Laurent Galandon et Damien Vidal (Dargaud)

« Lip, des héros ordinaires », de Laurent Galandon et Damien Vidal (Dargaud)

1973. Les salariés d’une usine LIP , qui fabrique des pièces d’horlogerie pour la Suisse découvrent par hasard que l’actionnaire majoritaire compte réduire drastiquement l’activité et procéder à de nombreux licenciements. Inquiétude, interrogations, discussions… et finalement : la lutte. Une lutte menée par des ouvriers pour le respect de leurs droits ; et plus largement – et indirectement – de ceux de tous les travailleurs. Leur situation est difficile, mais… qu’il est bon de les suivre !

On referme cet album avec le sentiment d’avoir un peu de leur indignation et de leur ferveur ; de leur force. « LIP, des héros ordinaires » raconte l’histoire – authentique – de cette résistance ouvrière. Pour autant, il ne s’agit pas d’un documentaire, mais plutôt d’une fiction inspirée de faits réels. Un bien judicieux choix narratif. Ainsi, en s’attachant au personnage de Solange, l’auteur permet au lecteur de totalement pénétrer le mouvement syndical auquel cette dernière participe. Il n’est pas question d’observer, en spectateur extérieur, les actions des uns et des autres ; on « est » avec eux.

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À travers Solange, le personnage féminin, c’est également la condition féminine qui se trouve questionnée. Peu à peu, Solange s’émancipe de la tutelle de son mari. « Patrick mène sa petite vie, refusant que la mienne change […] comme si elle s’accélérait. » La femme s’engage ; son couple se délite. Et alors qu’elle n’aurait jamais imaginé un jour ne serait-ce que distribuer des tracts, elle se retrouve au cœur même de cette mobilisation pour le moins active ; manifestations, séquestration du patron, « prise en otage » de milliers de montres, cachées dans un couvent, travail en autogestion, « on fabrique, on vend, on se paie ». « Pense à Yvon… Qu’est-ce qu’il deviendra si tu te retrouves en prison ? Tu crois que ce sont tes syndicalistes qui viendront t’aider ? », lui demander son beau-frère, policier.

L’humain est au cœur de cette BD. À lire le combat – 329 jours de lutte ! – de ces « héros ordinaires », on ne peut s’empêcher de penser aux « Conti », « Molex » et autres « Lejaby ». Percutant, saisissant.

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« Malpasset (causes et effets d’une catastrophe) »

« Malpasset (causes et effets d’une catastrophe) », d’Éric Corbeyran et Horne (Delcourt)

Fréjus, dans le Var, 2 décembre 1959. 21h13, le barrage de Malpasset cède, libérant une vague de 60 mètres de haut. Ce sont alors « 50 millions de mètres cubes d’eau qui se déversent d’un seul coup dans la vallée […] emportant tout sur leur passage. » L’après-midi même de la catastrophe, un communiqué voulait rassurer les agriculteurs et la population inquiets ; les vannes avaient été ouvertes, le niveau d’eau avait baissé, tout danger était écarté. Pourtant, cette nuit-là, « tout le monde a perdu quelqu’un. » 450, c’est le nombre de personnes ayant trouvé la mort ; près d’un tiers étaient des enfants.

Dans « Malpasset », pas – ou très peu – de mise en scène. Les témoignages se suffisent à eux-mêmes. Premier de ceux-ci : celui de Georges. Il avait 29 ans le jour de la rupture du barrage ; il s’apprêtait à fêter ses 30 ans le lendemain. Le désormais quinquagénaire se souvient avoir « entendu ce bruit indescriptible », comme si « des dizaines de trains passaient en même temps ».

Le souvenir d’un bruit effroyable, une constante dans les témoignages. Face au lecteur, Simone raconte comment, à 12 ans, elle s’est faite emporter par la vague sous la pression de laquelle le mur de sa maison venait alors tout juste de s’écrouler. Puis, plus rien. « Lorsque j’ai repris conscience, j’étais accrochée à un arbre. Je croyais que c’était la fin du monde. Je voyais des petites lumières qui s’agitaient partout. J’ai su après que c’était les gens qui participaient au secours. » La suite ? Trois semaines à l’hôpital à croire que ses parents l’avaient abandonnée. Ils étaient morts. Michel, qui avait alors 8 ans, se souvient très bien que quand les cours avaient repris, fin janvier, « la moitié des élèves de la classe étaient manquants. »

« Avec le recul, on peut dire que le drame de Malpasset était prévisible dès son origine… La construction, l’inauguration, l’entretien, la surveillance… Tout a été fait avec le minimum de dépenses… », analyse un intervenant. Avant, pendant… et après ; les dons, la solidarité, mais aussi les jalousies ou le manque de soutien psychologique.

Ici, l’impression est réellement que les personnages nous parlent ; un effet d’autant plus remarquable que le dessinateur n’a jamais rencontré les témoins interrogés. Discret, le dessin s’efface pour laisser – pleinement – place aux témoignages ; des témoignages clairs et factuels, douloureux, mais pourtant nullement larmoyants. Les faits sont durs, la tristesse est là, mais il y a dans « Malpasset » beaucoup de pudeur et de distance. Sobre. Fort.