Phénomène dédipix : un jeu dangereux ?

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Publié le 19/08/2013 par TRD_import_OlivierVanCaemerbeke ,
Faire une d edipix : la grande tendance du moment chez les jeunes. Cette pratique, qui consiste a poster sur le Web la photo d'une partie de son corps marquee du nom d'un autre internaute que, le plus souvent, on connait a peine, est-elle risquee ? Enquete sur ce jeu de dedicaces apparemment anodin… pour mieux en dejouer les pieges.

« Concour de Dédipix ! Marque ‘Flav’ sur une partie de ton corp, envoi la photo ou lâche un comm’ ! »

Des appels comme celui-ci (orthographe fantaisiste incluse), il y en a beaucoup sur les blogs Skyrock, l’antre de la dédipix (ou dédipic, dédipeax). Ce mot-valise est né du mariage entre « Dédicace » et « Picture ». Le principe ? Écrire et prendre en photo le nom du blogueur à qui on souhaite manifester son amitié sur sa propre main, sa cuisse, sa poitrine, etc. Le phénomène a émergé vers 2009, mais reste d’actualité.

Si les dédipix réalisées sur les mains ou, pour les plus pudiques, sur un simple bout de papier, sont fréquentes, ce sont les photos les plus sexy qui alimentent le phénomène.

« Je ne cherche pas à mater des filles en petites tenues, mais plutôt des dedipix à base de sensualité », explique Lucas*, 21 ans, étudiant en comptabilité. Sur son blog entièrement dédié à ces photos, son pseudo est lisible sur des chevilles, des mains, des poitrines, des nombrils… surtout des poitrines en fait ! Encore n’est-ce là que la partie publique de son compte. « Le blog privé est plus osé », avoue-t-il.

Pourquoi ça marche

La dédipix est une démarche spontanée, impulsive et beaucoup de celles et ceux qui s’y adonnent peinent à expliquer leurs motivations.

 » Je fais des dédipix plutôt sexy, toujours sur mon corps, mais mon intimité n’est jamais montrée : je reste en sous-vêtements, explique Katie*, 19 ans, qui vient d’avoir son bac techno. En faisant ces photos, j’ai appris à apprécier davantage mon corps. Mais ce qui me plait le plus, c’est de pouvoir ‘jouer’ avec l’appareil photo… » La motivation « artistique » est souvent avancée par les garçons comme les filles, mais elle n’élude pas dimension érotique de la pratique.

« La dédipix manifeste avant tout leur curiosité autour de la sexualité : est-ce que j’excite l’autre ? Qu’aime-t-il ? Mon corps plaît-il ? analyse Béatrice Copper-Royer, psychologue spécialiste de l’enfant et de l’adolescent. De plus, le narcissisme est très fort à l’adolescence ; se montrer c’est donc s’assumer, mais aussi ‘exister’ aux yeux des autres. »

Le plus souvent, ce sont plutôt les garçons qui réclament des dédipix et les filles qui en offrent. Ces dernières se rassurent en faisant « kiffer les mecs » qui, eux, flattent leurs égos en collectionnant les dédicaces.

Ton corps contre un comm’ ?

Certains échangent des dédipix contre la promesse de laisser des commentaires sur les blogs de participant(e)s afin d’en augmenter la popularité, grilles de tarif à l’appui. Une « dédi main » vaudra chez l’un 5 commentaires, 15 chez l’autre et un nom sur une fesse, de 50 à 600 commentaires !

Une marchandisation qui n’est toutefois pas généralisée. « La plupart des filles ne réclament rien en échange, elles sont juste curieuses de voir si leurs photos plairont plus que les autres » , explique Éric* dont le blog présente un classement des photos les plus appréciées par ses visiteurs.

Kevin* assure, lui aussi, qu’il n’offre jamais rien en échange. « Sauf, bien sûr si la fille le réclame, ajoute cet étudiant de Caen. Mais il s’agit souvent d’un simple lien vers leur propre blog. »

Michaël Stora est un observateur privilégié de cette pratique. Psychologue et cofondateur-président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, il dirige la cellule psychologique de Skyrock.  » La dédipix fait partie d’une ‘course à l’audience’, c’est indéniable , confirme l’expert. Mais ce n’est en aucun cas une nouvelle forme de ‘prostitution’ comme on l’a parfois écrit. Le but de ces dédipix – avec ou sans contreparties – c’est de remplir la jauge de l’estime de soi. Pour un jeune c’est une façon d’enrichir son ‘audimat intime’. »

Génération X

Certes les dédipixeuses se cachent derrière un pseudo et celles qui font des images osées masquent généralement leur visage. Reste que la majorité des adolescents assure que sur les blogs privés, c’est un peu le royaume du « tout permis ».  » C’est même assez pervers , assure Katie*. Certains jeunes n’ont plus aucun respect pour eux-mêmes, ils s’exposent sans aucunes réserves. »

« Pervers », un mot que reprend lui aussi Lucas* : « Quand j’ai commencé il n’y avait pas autant de blogs entièrement consacrés aux dédipix et, surtout, c’était beaucoup moins pervers. J’ai l’impression que maintenant il n’y a plus du tout de limites. « 

Dans cette partie immergée du web, la dédicace n’est souvent qu’un prétexte pour « montrer ou mater ». En ce sens, la dédipix est aussi le symptôme d’un phénomène générationnel. Selon un sondage de 2011 du site Casualdating, un tiers des 15-30 ans se seraient déjà dénudés sur le web ! « Les jeunes sont bien plus pétris de pornographie qu’autrefois, regrette Béatrice Copper Royer. Ils ont une image de la sexualité exhibitionniste, peu respectueuse de l’autre et souvent très machiste.  »

Un vrai danger ?

Incontestablement, les plus jeunes n’ont pas conscience que dissimuler leur visage uniquement sur certaines photos constitue une maigre barrière pour protéger leur identité. Faut-il pour autant s’inquiéter ?

Michaël Stora relativise. « La dédipix reste une pratique assez peu risquée, assure-t-il. On est loin des cas de type cyber harcèlement, automutilation ou tentative de suicide… »

Pour le psy, si la dédipix sexy effraie tant les adultes, c’est que la sexualité des ados est souvent taboue, à commencer pour les parents. « Ils agitent l’épouvantail des ‘risques’ pour éviter une réflexion plus profonde : est-ce que j’accepte que mon enfant devienne un adulte ? Est-ce que je tolère sa liberté, ses audaces ? »

Rappelons tout de même qu’en cas de soucis, les jeunes peuvent faire appel aux modérateurs des blogs, aux associations de défense voire alerter le Ministère de l’intérieur sur www.internet-signalement.gouv.fr

Prudence donc mais sans panique, d’autant que la majorité des dédipix sont « safe » et ne portent pas à conséquences. Béatrice Copper Roye invite cependant les jeunes qui font ou réclament des dédicaces « dénudées » à s’interroger sur leurs motivations. « Qu’y cherchez-vous et qu’y trouvez-vous ? C’est sans doute le meilleur moyen de passer à une quête de soi plus… constructive ! » et surtout, elle conseille d’ éviter à tout prix de montrer son visage et ainsi de sortir de l’anonymat du web, là où cela peut devenir un jeu très dangereux…

* Les prénoms ont été changés.