Ma vie, c’est le graff

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Publié le 19/05/2017 par TRD_import_MartinRhodes ,
Moins critiqué que par le passé, le graffiti ne fait toujours pas l'unanimité. Celles et ceux qui ont choisi la rue pour s'exprimer se heurtent encore souvent à l'incompréhension – de leurs parents notamment : "Mais pourquoi tu fais ça ?" Justement, Trendy leur a posé la question.

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« Mon premier graff ? C’était au collège », se souvient Max. Tous les matins, le jeune homme, alors en quatrième, prend le train de banlieue qui le mène de Colombes (92) à son collège parisien. Rivé à la fenêtre pendant le trajet, il regarde les graffitis défiler pendant que d’autres lisent le journal. Il est fasciné par les différents blazes (signatures), les couleurs, les formes, le culot de celles et ceux qui sont descendus sur les rails pour trouver leur public (« ça, c’est un geste artistique ! »).

Un soir, il achète quelques bombes de peinture dans un magasin de bricolage avec deux de ses potes. Le trio a repéré une maison abandonnée. « Le graff était franchement moche », avoue Max aujourd’hui, avant d’ajouter : « Mais j’ai ressenti quelque chose de très fort, un mix explosif d’adrénaline et de création artistique. »

Des anecdotes croustillantes

Max a maintenant 24 ans et il est étudiant en master 2 à PSB (Paris School of Business). Il a beaucoup progressé en regardant les comptes Instagram dédiés au street art et en griffonnant sur ses cahiers de cours. Il signe Eroïk, un blaze composé à partir des lettres qu’il aime dessiner. Son crew, le 71SI (« c’est ainsi »), rassemble sept amis d’enfance.

Les anecdotes croustillantes ne manquent pas. Il y a les escapades de nuit sur les toits de Paris, les courses poursuites avec la police, les bâtiments plus ou moins désaffectés. « Je me souviens notamment d’une folle soirée dans un magasin de peinture, raconte le jeune homme. On a laissé les bombes dans nos sacs, on a utilisé la peinture et les rouleaux présents sur place. » Le graffiti n’est pas seulement un dessin sur un mur, mais aussi un fait d’armes qu’on se plaît à raconter.

Acte revendicatif

Le fait que le graff soit illégal n’explique qu’en partie son succès. Lilas, 23 ans, graffeuse (elle ne souhaite pas donner son blaze), illustratrice et enseignante de dessin à l’école d’art Émile-Cohl à Lyon (69), n’hésite pas à parler d’acte revendicatif. « Écrire son blaze en grand et à la vue de tous revient à crier : ‘je suis là et j’existe !’ C’est d’autant plus vrai pour les jeunes des quartiers qui ne se sentent pas écoutés », explique la jeune femme.

Elle ajoute : « La bombe de peinture donne une impression de puissance. Tu barbouilles où tu veux, tu t’appropries la ville. » Les artistes qui se cantonnent aux espaces dédiés sont rares. Beaucoup se lancent des défis fous et hasardeux, comme peindre le plus haut possible ou sur une voiture de police.

Pas de crew, Lalasaïdko roule seule. La jeune femme de 23 ans habite à Vitry-sur-Seine (94). Titulaire d’une licence pro de l’école d’art Estienne, elle se plaît à dire qu’elle a une double personnalité. Côté pile : elle boit du thé, pratique la couture, la broderie et la poterie. Côté face : elle se passionne pour la musique hip-hop, les mangas et la pop culture. « Disons que je suis une sorte de petite vieille du graffiti », conclut-elle.

Pour elle, le graff est à la fois un loisir, un art et un sport. Un sport illégal qui nécessite de grimper ici ou là, d’exécuter des gestes rapides et précis et, au besoin, de courir assez vite pour échapper à ses poursuivants ! « Les premières fois, la peinture dégouline, le trait est imprécis et trop épais. On en ressort éreinté, avec des courbatures dans la main et le bras », confie-t-elle.

Lalasaïdko a ouvert un blog et un compte Instagram. Pour montrer son travail, mais aussi pour vendre ses stickers, affiches, pochettes et autres figurines. Elle y gagne jusqu’à 700 euros par mois. Ses graffs, qui mêlent illustration et typographie, sont autant de « petites histoires racontées dans la rue ». Des histoires faites de B-boys, de bulles géantes – roses, le plus souvent – et de l’incontournable « maneki neko » (chat japonais porte-bonheur). Le graff lui vide la tête. Il y a l’odeur et le bruit de la bombe, les contours qu’il faut remplir comme des coloriages. « Et puis quel kiff de voir son dessin en grand ! »

Graffeur, pas racaille

« Ma grand-mère adore le graff », s’amuse Max. Il lui montre, sur son téléphone, des photos de murs qu’il a peints. Moins critiqué qu’auparavant, le graffiti peut même devenir un atout dans la vie scolaire et professionnelle. Max n’hésite pas à l’évoquer sur son CV et à envoyer son portfolio aux employeurs du secteur du marketing digital. « Même pour un stage, ils sont très sensibles aux profils créatifs et à ce mode d’expression populaire en particulier », constate le jeune homme.

Siam, 17 ans, mise tout sur le street art pour entrer à l’ENSAD (École nationale supérieure des arts décoratifs), à Paris (75), l’une des meilleures formations en arts appliqués. Empreint de culture mexicaine, le jeune homme est « à la recherche de [son] style et en pleine réflexion sur l’art ». Il se verrait bien illustrateur pour l’édition, ou auteur de romans graphiques.

Depuis environ un an, Siam fait partie du NSK, un crew reconnu qu’il considère comme sa deuxième famille. Son compte Instagram immortalise ses fresques, vouées à être éphémères. L’une d’entre elles attire notre attention. Étrangement, son blaze n’y figure pas. En avril, le proviseur de son lycée lui a donné carte blanche pour réaliser un graff géant sur un mur recouvert de cellophane. Clément a fait le choix de rendre hommage à sa ville, Roubaix, qu’il a arpentée bombe à la main et qu’il devrait quitter bientôt. Un véritable déchirement en perspective. « J’ai mis les derniers coups de bombe et je me suis senti vidé et triste, confie-t-il. Comme si ma copine venait de me quitter. » Clément met, ou plutôt laisse, beaucoup de lui dans ses œuvres. Comme beaucoup de graffeurs…

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