« Ma mère, Facebook et moi » by Romy Idol

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Publié le 16/10/2014 par bettybetzy ,
Expliquer le fonctionnement de Facebook et surtout ce qu'il ne faut pas y faire a sa chere maman, pas super a l'aise avec les reseaux sociaux, ça releve parfois du parcours du combattant ! Romy Idol, une fille un peu comme nous, s'est aussi pose la question.

Quand ta mère ouvre son compte Facebook © Y comme Romy

Le mois dernier, ma mère a ouvert un compte Facebook. Je ne me suis pas méfiée quand elle m’a envoyé un SMS de vingt lignes (ma mère n’a pas connu le temps des textos en 160 signes) se terminant par : « Au fait, je t’ai demandée en amie sur Facebook, j’attends toujours que tu m’acceptes. Gros baisers. Maman. » Ma mère signe toujours ses textos : je crois qu’elle ne fait pas confiance à la fonction répertoire de nos téléphones et préfère toujours assurer ses arrières. De toute façon, elle ne m’envoie pas un texto, elle me « met » un texto.

Rester encore « dans le coup »*

Ma mère a passé le cap de la cinquantaine, mais se donne quinze ans de moins et se félicite quand « Le Nouvel Observateur » fait une couverture sur les sexygénaires. Ça la rassure sur le fait qu’elle est « toujours dans le coup ». Il faut dire qu’elle ne vit pas du tout comme j’imagine qu’on vit à cinquante piges passées. D’ailleurs, elle le dit elle-même, elle a « retrouvé sa liberté » quand mon père l’a quittée pour une trentenaire. Ça, c’est la version officielle.

Officieusement, ça lui a foutu un coup de se retrouver seule à quarante-cinq ans, avec de grands enfants qui n’avaient plus vraiment besoin d’elle à part pour apprendre à coudre un bouton ou remplir leur feuille d’impôts. Mais elle a bien rebondi, et maintenant, elle vit sa vie, part en vacances avec ses copines, et nous a même présenté un mec une fois.

Ne perdons pas de vue le cataclysme qui me pourrit la vie en ce moment : l’histoire d’amour naissante entre ma mère et les nouvelles technologies. Ma mère a décidé que la révolution 2.0 passerait par elle. Et quand on a trente ans de carrière et le salaire qui va avec, c’est beaucoup plus facile de faire des craquages geek que quand on alterne CDD et Assedic. C’est comme ça qu’elle se retrouve avec l’iPhone 5 et l’iPad 2 pendant que moi, je galère pour récupérer des points et enfin me racheter un téléphone digne de ce nom.

Mais je vous rassure, ma mère a beau posséder une filiale d’Apple chez elle, elle ne veut pas se séparer de son autoradio à cassettes dans sa voiture : « Tu comprends, ma chérie, il faudrait que je me rachète tout en CD. » Concernant Facebook, après une campagne de harcèlement à base de cinq textos par jour, j’ai fini par l’accepter comme amie. Plutôt que de purger toutes mes photos interdites à la famille, j’ai coché toutes les cases de restriction possibles, à tel point qu’il n’y a plus de différence entre ce qu’elle peut voir sur mon profil et ce que le moindre inconnu trouve en tapant mon nom sur Google.

14 amis Facebook _ _*

Toutefois, nos liens numériques s’étant ainsi resserrés, ma mère s’est enfin sentie en droit de me poser toutes les questions qu’elle ne peut poser qu’à sa fille. « Ma chérie, comment on envoie un message ? Je crois que j’ai confondu avec la fonction commentaire, tu crois que tout le monde le voit ? » Quand elle m’a raconté ça, j’ai d’abord eu un instant de panique en pensant qu’elle s’était dévoilée aux yeux de tout son wall, puis je me suis rappelé qu’elle n’avait que quatorze amis. Idem quand elle a posté une chanson entière en statut à la mort de Lou Reed.

J’ai eu une pensée affligée pour ses contacts qui ont vu leur timeline squattée par 3.000 signes d’un coup, avant de réaliser qu’ils avaient tous dû faire pareil.

Mais le vrai problème quand on a quatorze amis, c’est qu’on peut décortiquer absolument tout ce qu’ils postent. Ce qui donne lieu à des remarques du genre : « Je suis fâchée contre Micheline, elle ne like jamais mes statuts, je pense qu’elle me snobe. » J’ai abandonné l’idée de lui expliquer le concept de personal branding et de vitrine virtuelle, nos conversations téléphoniques ressemblant de plus en plus à celles d’une hotline, et j’ai eu envie d’ouvrir le champagne quand, au bout de vingt minutes, elle a réussi à poster en une fois une photo et un commentaire.

Quoi qu’il en soit, j’ai encore du mal à m’expliquer son récent dérapage facebookien. Comme d’habitude, elle m’appelle pour me demander la différence entre « liker » et « partager », quand elle se met à me parler de Jean-Jacques, le grand amour de ses vingt ans, divorcé lui aussi, qui l’a requestée. « Après quelques messages, on est allés boire un verre, puis un autre, puis un autre, et maintenant j’ai peur d’avoir attrapé le sida. » Euh. Hum.

Plaît-il ? Plaît-iiiiiiiiiiiiil ? « Stop, non, maman, c’est bon, j’ai déjà papa pour me faire ce genre de débrief, donc je te laisse, je suis dans un tunnel. » Je crois qu’elle a compris qu’elle y avait été un peu fort et ne m’a plus appelée pendant une semaine. De toute façon, elle partait en week-end prolongé avec des copines.

J’ai su qu’elle était rentrée quand j’ai vu que j’avais vingt-trois notifications d’un coup : ma mère venait de se reconnecter, de remonter tout ce qu’elle avait loupé sur ma timeline et de tout liker sans exception.

* Les intertitres ont été ajoutés par la rédaction.

Cet article est extrait de “Y comme Romy”, de Julia Tissier et Myriam Levain. Illustré par Louison.

Romy Idol, presque 30 ans, presque un mec, presque un boulot.

253 pages – 14,50 € – Editions Robert Laffont.