Le « mot à la bouche » : découvrez le gagnant du concours autour du thème « Crise »

No thumbnail
Publié le 20/12/2017 par TRD_import_ErwinCanard ,
Jamais le concours du "Mot à la bouche" n'avait reçu autant de textes. La victoire de Janaëlle, en seconde au lycée Jacques-Monod de Clamart, et de son texte intitulé "Un cri du cœur", résonne donc encore plus fort.

Le jury, composé de journalistes de la rédaction, a eu énormément de mal à départager la soixantaine de textes reçus, du fait de leur grande qualité et des nombreux styles littéraires employés : la poésie, la lettre, la nouvelle…

Néanmoins, il est parvenu à désigner le vainqueur : * »Un cri du cœur », écrit par Janaëlle, élève de seconde *au lycée Jacques-Monod de Clamart (92).

Par ailleurs, « C’est combien, une poire ? » de Victoire, en 3e au collège Notre-Dame-Des-Dunes de Dunkerque (59), et « Crise de l’âme », de Solenne, en terminale inscrite au Cned à Valbonne (06), ont respectivement été choisis comme « Coup de cœur collège » et « Coup de cœur lycée » par le jury.

Nous publions à la fin de cet article ces trois textes, et nous vous proposons également d’ écouter la lecture du texte gagnant.

Encore bravo à celles et à ceux qui ont participé. Le concours « Le mot à la bouche » est mis entre parenthèses pendant quelques temps, mais nous vous préviendrons lorsqu’il recommencera.

Le texte vainqueur, de Janaëlle

Le cri du cœur

Réveille-toi. Ce n’est qu’un cauchemar. Rien n’était réel. Respire, c’est ça ; inspire… expire… Un rythme irrégulier s’empare de mon orchestral corps.

« Tout va bien, ne t’inquiète pas ». Mais cet orchestre ne cesse de jouer, tout vient par étape. La première larme coule sur ma joue. Je l’arrête dans sa course mais, bientôt, c’est un océan qui dévale mes joues rebondies. Une pause, un répit puis la musique reprend. Le front humide, la peau brûlante et les perles de sueur qui se forment sur ce dernier, je me rends compte que mon corps est en suractivité. Il doit jouer sur tous les fronts, détendre chaque instrument de mon corps beaucoup trop crispé. Mon souffle devient court. Je sens mes poumons s’emplir, tant l’oxygène que j’arrive à ingérer est moindre. Il passe à travers mes bronches, bronchioles et alvéoles. Mon pouls bat la mesure trop précipitamment. Mon sang semble figé dans mes veines.

« Tout va bien, ne t’inquiète pas ». Mais c’est au tour des cordes d’intervenir. Dans ma gorge, elles se resserrent, empêchant l’air de passer, mon sang de circuler, et de monstrueux grognements s’échappent bientôt de ma gorge, assourdissant mes oreilles, faisant se taire les battements de tambour de ma poitrine. Je ne contrôle rien…

« Tout va bien, ne t’inquiète pas ». Je n’ai même pas une seconde pour me demander ce qu’il m’arrive. Je ne ressens plus que l’apesanteur. Les sons qui m’entourent s’atténuent, un vent m’emporte loin de tout cela, je vois des étoiles. J’ai conscience que je viens de chuter de mon lit, mais je n’entends pas la mélodie de la douleur, bien trop emportée par ce manque d’oxygène.

« Tout va bien, ne t’inquiète pas ». La lumière s’allume soudainement. Quelqu’un tente de me calmer il me semble. Sa main sur mon front, la retirant la seconde suivante, le chef d’orchestre mène la danse. J’ai du mal à me concentrer, à distinguer les formes qui m’entourent. Sont-elles plusieurs ou vois-je double ? Puis le morceau se termine sur une outro d’air, une quantité immense, qui pénètre dans mes poumons. Puis, petit à petit, je sens ma cage thoracique se rouvrir, sans un seul instant l’avoir senti m’emprisonner. Mes muscles restent tendus encore quelques minutes. Je reprends mon souffle, ma fièvre soudaine retombe, petit à petit. Je ressens le froid hivernal et nocturne. Je reste au sol, trop faible pour me relever. Le morceau est fini, la partition se referme et mes yeux avec.

Le « coup de cœur collège », de Victoire

C’est combien, une poire ?

Le déclenchement ? La piscine, épreuve de toute ado. Émily, papesse du lycée Gambetta, lui était passée devant, dans son deux pièces noir. Ses jambes interminables et minces, terriblement minces, avaient formé en Vic une sorte de jalousie. Elle, elle était grosse, immonde, dans son effroyable maillot rose, qui faisait ressortir son ventre. Il pouvait dire ce qu’il voulait, le médecin, avec ses « Tu es juste dans la courbe moyenne ! », elle devait être bien au-dessus. De la courbe haute.

C’est certainement à cause de sa laideur, aussi, qu’elle passait inaperçue derrière Hannah, sa meilleure amie, parfaite jusqu’à la symétrie de son prénom. Alors que dans « Vicky », aucune lettre ne se répétait. C’était un mélange de déchets de l’alphabet dont on n’avait pas su quoi faire.

Le midi même, devant les frites luisantes d’huile de la cantine, elle avait mis au point son plan d’attaque : Que des légumes, en très petites quantités. Elle allait enfin devenir comme ces filles de la Table Centrale, à la cantine, qui équivalait à la Table Ronde du roi Arthur.

C’était plutôt simple : Parler tout le long du repas pour attirer l’attention ailleurs, bien mâcher, boire beaucoup, et prendre des chewing-gums pour tromper la faim. Parce que l’échec c’était ça : la faim.

Deux semaines se sont écoulées depuis le déclenchement. Les jambes de son slim noire ne la collent plus comme avant, elle a ajouté un trou à sa ceinture, devenue un peu trop grande. À la piscine, on la remarque enfin. Un énorme pas pour Vic.

Trois semaines. Elle en est à trois trous dans sa ceinture, et se sent plus légère, mieux. Son slim la conforte dans cette idée, avec son tissu qui s’éloigne toujours plus de ses cuisses.

Un mois. On commence à chuchoter sur son passage. J’ai peut-être grossi… Impossible, je n’ai pris qu’une poire ce matin. C’est combien de calories une poire ? Bon, peu importe. Pas de petit-déjeuner cette semaine, et ce soir je me pèse.

Deux mois. Rang de la cantine. Il fait chaud, beaucoup trop chaud. Ce matin, elle est descendue à 48 kilos. Ça lui fait un peu plus de cinq kilos depuis le début, c’est peu. Mais l’écart entre ses jambes s’est creusé, et c’est déjà une victoire.

La chaleur augmente. Hannah se retourne, agacée par la main de Vic sur son bras. Vicky, ça va ? Qu’est-ce qui lui arrive ? Ses jambes lâchent prise, et sa tête heurte le sol. Puis plus rien.

« Anorexie » ? Trop dur à prononcer pour Vic. C’est loin, maintenant. Son malaise remonte à 6 mois. Sa guérison, à deux. Pour se revoir dans un miroir, il lui faudra du temps, le médecin l’a dit. C’est grave, ce qui lui est arrivé. C’est peut-être pour ça qu’elle a envie d’en parler. Pour éviter aux autres de se faire piéger par les jambes interminables, les tables centrales, et les filles du lycée.

Le « coup de cœur lycée », de Solenn

Crise de l’âme

C’est comme un goût amer qui sur les lèvres reste,

Une triste image qui se ternit avec le temps,

Comme une chanson qui tourne en boucle dans la tête,

Et qui hurle à mes oreilles par moment.

Toi, mon frère, ami en qui j’avais confiance,

Dis-moi seulement, que m’arrive-t-il ?

Toi, qui a déchiré le voile de l’innocence

Pourras-tu répondre à mes questions futiles ?

Pourquoi tout me semble si terriblement vide ?

Je n’aperçois que la mort devant moi,

Elle me caresse du bout de ses doigts livides

J’ai peur… mais de quoi ? Et je pleure, mais pourquoi ?

L’espérance qui dans ses grands bras berçait

Mes rêves aujourd’hui brisés en milles éclats,

M’a délaissée sur les rives d’une triste destinée ;

Sans elle ma plume pleure la vie qui n’est plus là.

Et dans cet océan de mélancolie je sombre,

Calme désolation, chaleureux tombeau

Où mon âme se repose, un douloureux coin d’ombre,

Mais l’agonie d’une âme attire toujours les corbeaux :

Il y a ici ce diable insaisissable qui me nuit,

Me déchire la peau, me prend l’incessible.

Il ne se voit pas, ne fait pas de bruit,

Pourtant, dans le silence il me susurre l’indicible.

Alors, de quoi ai-je peur ? J’ai peur de vivre,

J’ai peur que la douleur n’ait jamais de fin

Parce que ce diable, lui qui ne cesse de me poursuivre,

Porte un nom, et il s’agit du mien.