L’interview indiscrète : les premières fois de Pierre Bellemare

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Publié le 28/05/2018 par TRD_import_SophiedeTarlé ,
Le journaliste Pierre Bellemare vient de mourir à l'âge de 88 ans. En 2015, alors présentateur des "Enquêtes impossibles" sur NT1, il s'était confié sur sa jeunesse et son parcours professionnel. Celui qui était l’un des inventeurs de la radio et de la télévision modernes, nous parlait aussi de son adolescence... Pour lui rendre un dernier hommage, Trendy vous invite à replonger dans ses premières fois.

La première fois que… j’ai stressé pour un examen

« Le certificat d’études, car c’est mon seul diplôme. C’était un examen très complet, avec un niveau bien plus élevé que le brevet actuel. Je pense que les élèves d’aujourd’hui seraient incapables de le réussir. Il y avait même une épreuve de bricolage ! Pendant la guerre, j’étais dans une classe unique à Pontécoulant, en Normandie. C’est ce qui m’a incité à enseigner aux plus jeunes, et m’a donné le goût de transmettre. Par la suite, ma famille a déménagé à Paris. Nous habitions au 50 bd Saint-Jacques, dans le XIVe, et j’allais à l’école boulevard Arago. Je me souviens que mon père m’interdisait toujours de regarder par la fenêtre de la cuisine. J’ai compris que c’était parce qu’elle donnait sur la place où se déroulaient les exécutions à la guillotine. Car jusqu’en 1939, les exécutions étaient publiques. C’était la guerre. Nous étions en pleine déprime, les Allemands gagnaient partout. Il a fallu attendre 1942 pour avoir un peu d’espoir. Cette année-là, Rommel a reculé au canal de Suez en Égypte (bataille d’ El-Alamein) face à Montgomery. Et enfin, la situation s’est inversée.

À la maison, nous avions ce qu’on appelait un ‘cadre’, qui nous permettait d’enlever le brouillage des Allemands, et d’écouter la radio anglaise en grandes ondes. Nous suivions Pierre Dac en particulier, qui nous faisait beaucoup rire. Coté finances, ce n’était pas terrible. Mon père vendait des livres rares, et à cause de la guerre, il avait perdu son travail. À tel point que lorsque nous sommes arrivés à Paris, nous faisions partie des réfugiés nécessiteux. Comme il avait été étudiant à Heidelberg en Allemagne, il a trouvé un travail de traducteur à la mairie du VIe. Ce qui permettait à ma mère se procurer des cartes de ravitaillement supplémentaires. »

La première fois que… j’ai eu une « taule » à un examen

« Le bac ! J’étais à l’École alsacienne à partir de la 4e. C’était un établissement où les filles et les garçons étaient mélangés, ce qui était rarissime à l’époque. Mais, contrairement à aujourd’hui, c’était une école très simple, les élèves n’étaient pas riches. J’ai échoué au bachot (la première partie du bac qu’on passait en première) et qui conditionnait notre passage en terminale. J’ai passé le français, l’histoire-géo, les sciences, les maths, la première et la deuxième langue, c’est-à-dire l’allemand et l’espagnol. Bien entendu, comme c’était la guerre, l’anglais n’était pas proposé au programme ! Ensuite, j’ai travaillé rapidement. D’abord parce que j’ai perdu ma mère à 17 ans (morte d’une sclérose en plaque), et je venais de rencontrer ma première femme Micheline. Sauf qu’à 18 ans, j’ai dû faire mon service militaire, qui durait 15 mois à l’époque. Je suis parti à Trève, au Nord de l’Alsace, au 38e régiment de cavalerie, près d’Aix-la-Chapelle. »

La première fois que… j’ai séché

« C’était au collège Sainte Barbe. Au fond de la cour, il y avait un bâtiment en construction, qui nous permettait de sortir du collège ni vu ni connu. Nous avions trouvé la combine et personne ne s’en était aperçu. Je faisais partie d’une bande, et j’ai dû faire mes preuves pour l’intégrer. J’ai traversé la Seine sous le pont Notre-Dame… alors que je ne savais pas nager. Une autre épreuve était de voler des livres chez Gibert, ce que j’ai fait aussi. »

Pierre Bellemare à 10 ans. // © Photo fournie par le témoin

La première fois que… j’ai cassé ma tirelire pour des fringues

« Je ne me souviens pas car je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance aux vêtements. Mais un jour, Claude Agnelli, le réalisateur d’Europe 1, m’a conseillé d’aller rue de Marignan, dans un magasin connu pour vendre de magnifiques bretelles anglaises. J’en ai acheté une paire très jolie, et depuis j’en porte toujours. Ma femme Roselyne, qui est très bonne couturière, m’en a fait ensuite de très belles. Elle avait appris à coudre avec sa mère qui habillait Michèle Morgan. »

La première fois que… je me suis trouvé ridicule dans mes vêtements

« C’était pour l’émission ‘Coucou c’est nous’ de Christophe Dechavanne (diffusée sur TF1 de 1992 à 1994). Je venais habillé en clochard ou en cow-boy pour amuser le public. C’était très drôle ! »

La première fois que… j’ai été à un concert

« C’était avec mon beau-frère, Pierre Hiegel (animateur radio et critique musical de Radio Paris et de Radio Luxembourg), mari de ma sœur Jacqueline (son autre sœur Christiane est morte à l’âge de 14 ans d’une phtisie foudroyante). J’avais 14 ans, il en avait 24 et m’a invité à écouter un concert, sans doute du Debussy, du Ravel ou du Fauré, ses musiciens préférés. Il avait une collection extraordinaire de disques, les murs de son appartement en étaient entièrement recouverts. C’était un passionné et il a fait mon éducation musicale. Je dois tout le début de ma carrière à Pierre Hiegel. »

La première fois que… j’ai acheté un CD

« C’était un 33 tours de Django Reinhardt, le célèbre guitariste manouche. À l’arrivée des Américains, le jazz s’est largement diffusé en France. Dans les années 50, j’allais au Tabou, à Saint-Germain-des-prés. Je n’aimais pas danser, mais au Tabou, il y avait des tables où l’on pouvait boire un verre au milieu des danseurs acrobatiques et des musiciens. On philosophait en écoutant Juliette Gréco et Boris Vian. J’étais présent quand il a chanté la première fois ‘Le déserteur’. »

La première fois… qu’un livre a changé ma vision de la vie

« C’est une nouvelle de Guy de Maupassant, qui s’appelle « La parure ». Il faut la lire, c’est vraiment une nouvelle terrifiante. C’est une femme qui, un jour, est invitée avec son mari à une soirée très chic au ministère, et demande à une amie plus riche qu’elle, de lui prêter sa parure de diamants. Mais quand elle revient de la fête, elle réalise qu’elle a perdu le collier. Le couple s’endette alors pour racheter le bijou afin que l’amie ne s’en aperçoive pas. Bien plus tard, pauvre, et épuisée par des années de labeur, elle revoit son amie, et ne peut s’empêcher de lui reparler de la parure. Stupéfaite, elle est désolée pour son amie, et lui dit que la parure était en fait… un faux ! C’est vraiment atroce quand on y pense. »

Pierre Bellemare à 17 ans. // © Photo fournie par le témoin

La première voiture que… je me suis payée

« Je devais avoir 22-23 ans. Je suis allé chez un loueur pour acheter une voiture pas trop chère. En effet, j’ai trouvé une Peugeot 203 pour un très bon prix. J’étais ravi et je suis allé déjeuner aux Vaux-de-Cernay pour un rodage. En descendant de la voiture, je vois sous le pare-soleil une petite feuille de papier. Je regarde ce qu’il y a, et je lis ‘Remettre le compteur de 140.000 à 70.000’. Évidemment, je suis allé immédiatement voir le loueur, et il m’a donné pour le même prix une magnifique Simca neuve ! »

La première fois que… j’ai quitté le nid familial

« Assez jeune, à 20 ans , j’ai quitté mes parents pour habiter avec ma première femme Micheline. »

La première fois que… j’ai passé un entretien d’embauche

« Jamais. J’ai toujours été mon propre patron. J’ai créé Tecipress assez tôt, en juin 1958. En 1949, j’avais 20 ans, grâce à Pierre Hiegel, Jacques Antoine et moi, avons été embauchés par Radio service. C’était le prestataire de Radio Luxembourg, à l’époque, la seule radio privée en France. Ensemble, nous avons créé de nombreux jeux, pour la presse au début, pour « ELLE », pour « Paris-presse » (France soir), « le Dauphiné », « la voix du Nord », « la Dépêche du midi ». Je me souviens d’un jeu en particulier, où l’on donnait rendez-vous aux gens dans les rues de Paris. »

La première fois que… j’ai eu le déclic pour ma carrière

« Quand je suis rentré à Radio Luxembourg comme technicien. Au début, mon travail consistait à enregistrer les sons sur des disques souples (les cassettes vidéo n’existaient pas !), à faire des prises de son de l’orchestre. Et puis un jour, je suis passé de l’autre côté de la vitre. Car Jacques Antoine m’a demandé de faire le rôle d’un Allemand dans un feuilleton. Je faisais très bien l’accent allemand ! À ce moment-là, j’ai commencé dans ce monde, et je n’ai plus eu envie de le quitter. Il faut savoir que la télévision n’existait pas, ou juste à titre expérimental : il y avait trois téléspectateurs. À la radio, il n’y avait que l’ORTF, et Radio Luxembourg était la seule radio privée qu’on écoutait en grandes ondes. Nous avions 10 heures de programme par jour, et il a fallu tout inventer. Car les gens de l’avant-guerre n’étaient plus adaptés au nouveau monde qui commençait. Tout était à faire, on réinventait la radio, c’était vraiment une époque passionnante. »

La première fois que… j’ai eu une grosse galère dans ma carrière

« C’était en décembre 1959. À l’époque, le jeudi je passais à la télévision, et le reste de la semaine, j’étais sur Europe 1. Le rédacteur en chef d’Europe 1 m’appelle et m’annonce qu’il y a eu une énorme catastrophe à Malpassé dans le Var, près de Fréjus, où le barrage a rompu. Lors de cette catastrophe, il y eut 423 morts et d’énormes dégâts matériels dans le village. Évidemment, il n’est pas question que je fasse un jeu, mais plutôt une émission spéciale afin de récolter les dons pour aider les rescapés et les habitants de Fréjus inondés. Je leur réponds que je ne peux pas, puisque le jeudi je suis à la télévision. Ils n’étaient pas contents. Je passe comme prévu à la télévision pour une soirée spéciale, et à un moment on me demande ce que je pense des gens qui quêtent dans la rue pour Malpassé. Je leur réponds qu’il faut se méfier, qu’il peut s’agir de gens malhonnêtes. Terrible ! Les gens qui quêtaient dans la rue étaient des gens d’Europe 1. J’ai été mis à la porte d’Europe 1 immédiatement. Pendant dix ans, j’ai disparu des radars. Jusqu’au jour où Lucien Morisse, directeur des programmes d’Europe 1 nous a rappelé Jacques Antoine et moi en nous disant : ‘J’ai une idée de formidable, je ne sais pas ce qu’on fera, mais j’ai déjà le titre, ce sera déjeuner chaud’. »

La première fois que… j’ai été fier d’une réussite pro

« À mes débuts, lorsque j’ai commencé à radio Luxembourg et que je faisais ‘Histoires vraies’ chaque soir pendant une demi-heure. Jusqu’à présent, lors de ces feuilletons, il y avait toujours de la musique. C’était : il entre dans la pièce… musique. Moi je n’ai pas mis de musique, je racontais l’histoire sans effet sonore. C’était complétement nouveau. »

_Pierre Bellemare pendant ses loisirs. // © Photo fournie par le témoin _

La première fois que… j’ai embrassé une fille

« À 14 ans, dans la cave de l’École alsacienne où l’on se réfugiait pendant les alertes à la bombe. Elle s’appelle Jeanne Lepecoeur. Le plus incroyable est que cette année, elle venue me voir à Europe 1 avec son mari ! »

La première fois que… je suis tombé amoureux

« De ma femme Micheline. Je l’ai rencontrée au Cours Raspail où j’ai redoublé ma première. Il y avait un pilote de guerre plus âgé que nous qui avait repris ses études. Il était tout auréolé de gloire, il était beau avec son blouson d’aviateur, et s’intéressait beaucoup à Micheline. Finalement, je suis arrivé à mes fins, mais non sans mal. C’est vrai que j’étais un beau parleur, et puis j’avais un plus : j’étais plus grand que lui ! »

La première fois que… j’ai fait l’amour

« Avec Micheline, que j’ai épousée peu de temps après, vers 21 ans. »

La première fois que… j’ai fait un gros mensonge à mes parents

« C’était en mai 1944, quelques jours avant le débarquement. J’avais 14 ans. J’étais scout, alors que c’était interdit par les Allemands, et j’avais eu l’idée de faire passer à un scout plus jeune une épreuve d’orientation sur le toit de mon immeuble à Paris. Je lui avais demandé de repérer les monuments en se servant d’une rose des vents. Quand tout à coup, je vois quelqu’un sur le toit qui me désigne du doigt. On fout le camp immédiatement et je rentre illico chez moi. À l’époque, je ne passais pas inaperçu car j’avais une grosse tignasse de cheveux très frisés. Je vais au lavabo et j’arrose mes cheveux d’eau, je me lisse les cheveux pour me faire une coiffure qu’on appelait à l’époque ‘à l’embusqué’. Pourquoi on disait à l’embusqué ? Parce qu’un embusqué est loin du front ! Quelques secondes après, on frappe à la porte chez moi. Et un homme arrive avec un imperméable, comme ce qu’on voit dans les films aujourd’hui. C’était un milicien. Il me demande de sortir tout de suite, et dehors il y avait les Allemands. Ils avaient vu des terroristes sur le toit. On demande au voisin de me reconnaître, mais par chance, avec ma nouvelle coiffure, il ne me reconnaît pas. Quand je suis rentré dans l’immeuble, mon père m’a donné une sacrée paire de claques !! Il savait que c’était moi. »

La première fois que… j’ai pris une grosse cuite

« Non, je ne me suis jamais saoulé car je sens très vite les effets négatifs de l’alcool. »