Interview Diglee : « Plutôt que d’écrire un journal intime, j’ai décidé de le dessiner »

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Publié le 22/11/2013 par TRD_import_LilyJoseph ,
À 25 ans a peine, Diglee se fait sa place dans le petit monde de la bande-dessinee. "Forever Bitch", c'est son histoire, ou plutot celle de ses copines, et des notres ! Rencontre avec une jeune femme petillante qui nous raconte son parcours.

*Quel est votre parcours ? *

J’ai fait un bac littéraire. J’avais toujours dessiné. Au moment de m’orienter, *j’ai hésité entre hypokhâgne et Emile Cohl *; entre lettres et dessin. J’ai été prise à Emile Cohl. C’est une école hyper sélective, alors j’ai considéré ça comme un petit booster. J’ai intégré l’école à 17 ans et j’en suis sortie diplômée en 2009. Je n’étais pas sure de rester jusqu’au bout, je pensais ne pas avoir le niveau ou juste ne pas avoir vraiment envie de faire ça. Mais une fois dedans, ne faire que dessiner, c’était top.

Et en parallèle de cette école, alors que vous étiez étudiante, vous avez ouvert votre blog…

Oui, je l’ai ouvert en 2007 et il s’est fait sa petite place. Ça m’a permis de faire des festivals, de dédicacer et de commencer à publier. Quand je suis sortie de l’école, j’avais déjà publié deux-trois petites choses et j’ai eu du travail tout de suite. Tout s’est enchainé assez vite.

*Pour les lecteurs que la formation pourrait intéresser, dites-nous en plus sur Emile Cohl ? *

Il s’agit d’une école qui forme vraiment aux métiers du dessin : l’illustration, la bd, le dessin animé et le multimédia. C’est assez vaste. On intègre soit la probatoire directement, soit la mise à niveau. Ce sont deux années de préparation. Ensuite, le cursus dure trois ans. En première année, on choisit son orientation selon qu’on se dirige plutôt vers le papier, le multimédia ou le dessin animé.

Vous n’avez jamais été tentée par le dessin animé ?

Non. C’est un travail de titan. Il faut avoir une vue de l’espace sans défauts, des capacités que je n’ai pas. En dessin animé, c’est 24 dessins par seconde pour Disney, sinon c’est 12 dessins. Mais même 12 dessins pour une seconde, moi je ne suis pas patiente ! Donc non ! Les cours de dessin animé étaient une torture, j’étais très nulle.

*Vous l’avez dit, tout s’est enchainé pour vous. Vous qualifiez votre parcours de conte de fée… *

Oui, parce que je suis émerveillée de ce qui m’arrive. Je vis de ma passion, c’est génial ! *Mais je n’ai pas lésiné ! L’école nous demandait déjà beaucoup. C’est un établissement privé très dur, on ne peut pas redoubler. Le boulot, comme dans toutes les grandes écoles, est énorme. Pour compenser, j’avais vraiment besoin d’avoir un « à coté » : être dans l’humour, dans quelque chose de plus léger. *Je me remercie d’avoir fait le blog. À l’époque, je n’avais même pas Internet chez moi. Je n’avais pas de scanner non plus. Je prenais en photo mes dessins, je les préparais et je les postais pendant les pauses à l’école. Je me demande encore comment, dans ces conditions, j’ai eu l’idée de faire un blog. Je ne sais pas. Mais je pense que j’en avais vraiment besoin. Au début, je postais quasiment tous les jours ! C’est aussi pour ça que je me suis fait une place.

*Comment est né le blog ? Quelle était l’idée de départ ? *

Comme je n’avais pas Internet, je ne savais pas ce qui se faisait. Au départ, je voulais me faire un book en ligne. J’y mettais mes boulots : peintures, croquis, etc. A côté de ça, j’ai toujours écrit. J’avais des journaux intimes depuis très longtemps et, à un moment, je ne sais pas pourquoi, je me suis dit que plutôt que d’écrire un journal intime, j’allais le dessiner. Et je l’ai posté. C’est à ce moment-là qu’il y a eu des premiers commentaires, des personnes qui attendaient la suite. Je me suis alors rendu compte que ça me plaisait d’avoir un échange avec les gens et d’écrire sur moi, de me moquer de moi. Ça me faisait du bien. Je rentrais de l’école, où on m’avait mis des choses sérieuses dans la tête, et je faisais un truc drôle et simple. C’était super bien. C’est comme ça que j’ai commencé. Et quand j’ai commencé à surfer un peu, j’ai vu qu’il y avait Laurel et Pénélope Bagieu. J e me suis alors dit que c’était une super plateforme.

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*La BD est un univers très masculin… Pensez-vous qu’Internet a vraiment permis aux femmes de se faire leur place ? *

Ça a été révolutionnaire ! Moi, gamine, j’ai toujours fait de la BD. J’ai des caisses de BD commencées entre mes 7 et 19 ans. Pourtant, bizarrement, je ne me suis jamais vue en « faire ». Parce que les BD que je lisais étaient faites par des hommes. A part Bretécher et quelques exceptions, il y avait tout à faire. Pénélope a été l’initiatrice de tout ça. Elle a ouvert une brèche immense. Au départ, c’était assez restreint, on restait dans quelque chose de très féminin : on parlait de notre féminité, on la revendiquait. Aujourd’hui, la faille est ouverte et je pense que les filles écrivent sur tout.

*Dans « Forever Bitch », vous ne vous mettez pas en scène comme sur votre blog. Vous n’êtes plus dans l’autofiction, mais dans un exercice d’observation. Pas dans de la « pure » fiction… *

Je suis encore dans la retranscription du réel, je ne peux pas m’en empêcher, c’est mon petit dada. En fait, on m’a plus ou moins commandé une BD. Je travaillais pour le magazine Fluide.G , j’y faisais des planches ponctuellement et l’éditrice, un jour, m’a dit : « Bon, on a une dizaine de planches, essaie de les réunir et de me faire un album. » On était en pleine polémique du « girly ». J’en avais marre de me prendre des coups dans les dents, je me suis dis : j’abandonne. Je fais de l’illustration, mais je ne fais plus de BD. J’avais très peur en fait. L’éditrice m’a bien poussée, on a discuté… et je me suis lancée ! J’avais trois copines que je suivais de loin, qui n’étaient pas très proches. J’avais un regard objectif sur elles, en tout cas lointain. Je trouvais que pendant un an, elles avaient vécu des choses assez universelles, assez intéressantes à travailler. Elles avaient des personnalités colorées qui me donnaient envie de les dessiner. Je me suis dit que quitte à faire une BD, j’aimerais que ce soit sur la vie de ces trois filles. Je suis allée les voir et je leur ai dit : « Écoutez, j’ai envie de faire une BD sur vous, qu’est-ce que vous en pensez ? » Elles ont été ravies et pendant six mois, il y a eu un travail de « reportage ». Je les suivais partout, je posais mon dictaphone sur la table quand elles parlaient, pour être un petit reporter de leur vie. Au plus proche du réel.

Ce sont donc bien trois « vraies » copines et non pas trois profils rassemblés pour l’occasion ?

Oui, et elles ont la vie que je leur décris dans la BD. Il y a un personnage principal et ses deux amies qui sont antinomiques au possible. Elles se détestent au départ, puis apprennent à s’apprécier. Évidemment, j’ai romancé, j’ai remis dans un ordre narratif plus intéressant, mais la base de ce que je raconte est réelle.

Vous racontez la vie de ces trois jeunes femmes, mais forcément, en tant qu’auteur, vous avez bien dû mettre des éléments personnels dans cette BD… Qu’est-ce qui est de vous dans « Forever Bitch » ?

Je ne vais pas tout dire ! C’est très pratique de dire qu’on écrit sur les autres et de mettre des choses de soi. Ça passe comme une lettre à la poste. Il y a de moi dans les réflexions sur l’amour, sur le mariage… C’était très intéressant de travailler le lien aux parents, même si ce n’est pas forcément mon expérience. C’est quelque chose qui a beaucoup de poids dans tout. Il y a un peu de moi partout. Par exemple, j’ai ajouté mon meilleur ami, qui n’est pas du tout leur ami à elles. Je me suis dessinée une ou deux fois en clin d’œil aussi. Mais c’est 10% de la BD. Le reste, j’ai essayé d’être fidèle à ces filles plus qu’à moi-même.

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L’album se compose d’une succession de saynètes… Mais au milieu de l’album, une trame narrative se dégage. C’était le hasard de la vie ou bien vous avez cherché à créer ce « déclic » ?

C’était totalement réfléchi ! J’ai passé des mois à m’arracher les cheveux, à être beaucoup trop exigeante avec moi-même sur le scénario. On voulait ce format d’un gag par planche – aussi parce que c’était une prépublication dans le magazine et que c’était plus sympa à la lecture d’avoir un gag qui se finit –, mais je voulais une trame. J’avais 70 planches. Je voulais en prendre la moitié pour poser mes personnages, être dans un enchaînement de situations qui permettent de comprendre ces filles. Puis arrive l’action du milieu – la demande en mariage – avec ce que cela entraîne, les relations entre les trois personnages qui changent et, effectivement, la deuxième partie est plus narrative.

*Vous dites avoir fait un travail de petit « reporter »… Dans cette BD, on « voit » vraiment évoluer ces filles. Leurs gestes, par exemple, même quand ils sont exagérés, ne font jamais faux. Comment est-ce qu’on réussit à capter une gestuelle, à rendre un dynamisme ? *

C’est inhérent à ma profession. Que j’en fasse un projet ou pas, je regarde toujours les gens : leur morphologie, leur gestuelle, ce qui ferait d’eux un bon personnage ou pas… Je fais toujours cela. On me pose sur un banc en ville, je regarde juste les gens et j’y passe des heures. Quand j’étais étudiante, j’avais un carnet dans mon sac et je notais des choses sur les gens que je voyais dans le métro, je leur inventais une histoire. J’ai toujours eu cette curiosité des êtres humains. Du coup, c’est un plaisir pour moi de le retranscrire. Après, je suis très flattée d’entendre ça ! C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire : dire que j’ai pu retranscrire la gestuelle d’une personne et qu’on puisse l’entendre ou la sentir bouger. C’est le Saint-Graal pour moi d’arriver à ça.

Vous dites observer chez les gens ce qui ferait d’eux un bon personnage ou pas… Précisément : qu’est-ce qui fait un bon personnage ?

Clairement, Maud par exemple, il était évident pour moi que c’était un bon personnage. Entre son parler, sa gestuelle et sa vie, c’était un personnage « prêt à l’utilisation ». Il n’y avait presque rien à faire, juste à la regarder vivre. Je pense que c’est celle qui ressort le plus. Mais pour autant, je trouve qu’Audrey, avec sa discrétion, est assez émouvante. Au début, on la trouve assez naïve et puis finalement, quand elle se fait quitter, on est sincèrement désolé pour elle. Le but était que les trois soient touchantes et ne soient pas trop lisses.

*Vous avez suivi ces filles, mais vous n’évoquez pas toutes les dimensions de leurs vies dans cette BD, vous vous êtes concentrée sur les relations amoureuses… Pourquoi ? *

C’est ce qui m’intéresse dans la vie. J’ai fait un immense post sur l’amour sur mon blog, écrit de façon très sérieuse. En plus, on est dans une époque où Facebook et tous ces médias-là changent encore les relations aux gens. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais c’est vraiment le sujet qui m’intéresse énormément, la relation au sens large, aussi bien amicale, que familiale, sexuelle, amoureuse. L’intime et la relation, c’est ce qui me passionne le plus !

Et on retrouve Adopteunmec.com dans la BD…

Ben oui ! C’est quoi cette histoire d’Adopte un mec ?! C’est incroyable. Ils en font des affiches dans le métro parisien. Il y a des boutiques qui s’ouvrent avec des mecs en vitrine. Je me sens un peu dépassée par cette déferlante d’Internet. Je suis une vieille romantique avec mes vieux bouquins. Je suis sur Anaïs Nin et Henri Miller, Flaubert et Louise Colet… Je suis hyper veillotte là-dessus. J’érige vraiment l’amour en but principal de ma vie ! Vivre du grand et de l’exceptionnel ! Quand je rencontre des personnes qui sont un peu perdues, qui cherchent par le biais d’Internet, ça me passionne parce que ce n’est pas du tout mon fonctionnement. C’est générationnel. Même si ça ne me ressemble pas, ça existe et il était important de le travailler.

*Ces trois filles, dans leur rapport à l’amour, sont radicalement différentes de vous… Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée ? Interpelée ? *

Maud, par exemple, est celle qui semble dans une période plus instable que les deux autres. Ce qui me surprenait, c’était de constater son immense liberté – c’était une prédatrice, au début, je l’ai vraiment vue comme ça – et, en fait, j’ai très vite perçu l’autre côté. C’est quelqu’un qui rêve de mariage, qui rêve d’être maman, et qui est désespérément triste de ne pas trouver l’homme avec qui ça va se passer. Je suis certainement très chanceuse, mais je n’ai eu que des jolies histoires, assez romantiques, etc. Et là, j’étais face à quelque chose qui me semblait compliqué, ça m’intriguait. J’ai été célibataire pendant un an et je me suis moi-même inscrite sur Adopte un mec. J’ai fait des captures d’écrans de profils complètement aberrants ! Je ne m’y sens pas du tout à ma place, mais c’était quand même très intéressant de m’immiscer là-dedans.

*Vous pensez que si vous aviez été plus proche de ces trois filles, vous auriez été moins percutante en les dessinant ? *

Peut-être. C’est possible. D’autant que ma façon de faire rire est dans la moquerie ; dans la moquerie gentille, mais je suis quand même dans la caricature. Quand on s’est mis d’accord sur le fait que j’allais dessiner leurs vies, je leur ai dit : « Vous me dites oui, mais c’est un oui absolu ! C’est-à-dire qu’il va falloir qu’il y ait des planches où vous ne serez pas mises à votre avantage. C’est important. » C’était parfois un peu difficile, mais c’était ma ligne de conduite : ne pas prendre en compte le fait de blesser une telle ou une telle et m’en tenir à ce que je veux dire d’elles, où je veux les faire arriver dans la narration.