Interview de Boulet : « Mon métier est l’un des plus sous-estimés du monde ! »

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Publié le 25/10/2013 par TRD_import_LilyJoseph , Mis à jour le 30/03/2022 par TRD_import_LilyJoseph
Connaissez-vous Boulet ? Auteur,blogueur et scenariste de BD, il sort chez Delcourt le tome 8 de ses "Notes". L'Etudiant Trendy l'a rencontre pour l'occasion. (Re)decouvrez le parcours de ce passionne et les coulisses de ses creations.
Interview de Boulet : « Mon métier est l’un des plus sous-estimés du monde ! »
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Le tome 8 des « Notes » tourne autour des « 24 heures de la BD »… Pouvez-vous nous rappeler en quoi cela consiste ?

Boulet : Le principe de base est de réunir des auteurs professionnels et de leur donner une thématique de travail. Ils ont 24 heures pour faire une bande dessinée de 24 pages, totalement improvisée. C’est une idée de l’auteur de BD américain Scott Mc CLoud. Le concept a été ensuite repris par Lewis Trondheim quand il était président du Festival d’Angoulême. J’ai créé 8 histoires de 24 pages, en 24 heures.

Comment s’est passée la première fois où vous avez participé aux « 24 heures de la BD » ?

La première fois, je l’ai fait avec l’estomac noué pendant toute la nuit, terrifié à l’idée de me planter. J’ai travaillé à toute vitesse, j’ai bu 10 fois trop de café et j’ai terminé avec 5 heures d’avance, dans un état de panique totale. Les années suivantes, au moins, je savais comment ça se passait, donc j’ai mieux géré mon temps. La deuxième année, j’ai fini à exactement deux minutes avant la fin.

Il n’y a que depuis deux ans que je me suis dit : « Cette année, je vais le faire cool. » Je choisissais un design de personnages plus simple, avec moins de cases par page. Sans forcer, je terminais 2 ou 3 heures avant la fin.

Certaines années, je me suis dit : « Je vais faire un truc hyper compliqué et je vais essayer de le faire à fond. » C’était les deux dernières années et j’ai vraiment eu du mal à terminer à temps. Mais le résultat était plus abouti, plus dense, plus satisfaisant pour moi.

Est-ce que vous vous êtes déjà dit : « Je n’y arriverai jamais  » ?

Il m’est même arrivé de ne pas finir à temps ! C’était il y a deux ans. Je me suis rendu compte qu’il allait me manquer 2 heures. J’ai donc terminé mon histoire, mais pas en 24 pages : il m’en manquait deux. Effectivement, cette année-là, je me suis planté. D’habitude, une fois qu’on a terminé, on va toujours boire un pot avec les autres auteurs. La plupart du temps, on n’a pas dormi depuis plus de 30 heures. On boit du champagne, ça nous assomme bien. Après, je suis remonté dans la salle pour terminer, pour dessiner deux pages de plus : un épilogue. Ensuite, je suis allé me coucher et j’ai dormi pendant 14 heures d’affilée.

Vous n’êtes pas seul à participer à ces « 24 heures de la BD », comment ça se passe avec les autres dessinateurs ?

Le « pendant » de l’exercice, c’est très drôle. Peu d’auteurs sont vraiment dans un état d’esprit de compétition. Moi, j’ai vraiment une mentalité de joueur de jeu vidéo quand je participe : il faut finir à temps et que ça soit bien. Je suis à fond ! En fait, il y a beaucoup de gens qui s’en foutent complètement : « Oh, j’ai fait 12 pages, maintenant j’en ai marre, je vais dormir et je vais voir si je finis. » Effectivement, quand on y réfléchit, il n’y a rien à gagner, on n’a rien à prouver, donc on peut s’en foutre. Mais moi, je le prends hyper au sérieux. Quand tout est fini, c’est drôle de voir les pistes prises par les autres, de voir comment certains ont complètement détourné le sujet. Quelques fois, c’est un peu rageant de voir comment quelqu’un a réussi, en 6 heures, à faire quelque chose de super efficace, de super drôle, et comment moi, en galérant pendant 24 heures, j’ai réussi à faire quelque chose de moins efficace et de moins drôle.

Il est, forcément, beaucoup question d’inspiration et d’improvisation dans ces « Notes »…

L’essentiel de mon boulot, c’est l’improvisation. Je n’écris pas. Les scénarios que je propose sont dessinés. J’adore travailler en improvisation, c’est-à-dire, en gros, me faire le film de l’histoire dans ma tête et, ensuite, le mettre directement en images. Tout ce que j’ai fait sur mon blog, depuis 9 ans, était de l’improvisation. J’ai essayé d’expliquer cette façon de travailler dans l’album, comment une idée vient, comment on l’exploite… On peut comparer cela avec quelqu’un qui parle tout le temps. Même si la personne est très bavarde pendant une interview, si tu lui tends un micro en lui disant : « Vas-y, parle, juste pour les tests ! », elle va dire : « 1-2-1-2, je m’appelle machin. Ça marche là ? » L’improvisation, en fait, c’est être capable de prendre un micro et de partir directement sur quelque chose. En BD, c’est pareil. Quand on nous donne le thème des « 24 heures de la BD », on se retrouve comme l’idiot avec son micro : il y a cette espèce de peur du vide qui est assez grisante.

Pour les lecteurs que ça ferait un peu « rêver », qui aimeraient eux aussi « improviser », il faut bien expliquer que l’improvisation… ça demande beaucoup de travail en amont !

J’avais entendu un jazzman qui parlait de la façon dont il improvisait. Il disait : « L’improvisation… J’ai appris des phrases musicales par cœur. J’écoutais des musiciens de jazz et je répétais les phrases en boucle, encore et encore, jusqu’à en avoir assez dans mon répertoire pour avoir un vocabulaire et, à ce moment là, pouvoir improviser autour avec de celui-ci.

Ça m’avait beaucoup choqué. Pour moi, l’improvisation, c’était la liberté absolue. On n’a aucune contrainte, on n’apprend pas, on part directement. Je me suis rendu compte que c’était faux. Je fais la comparaison avec un enfant qui, pour apprendre à parler, doit écouter ses parents, répéter leurs mots, leurs phrases, pendant des années. À partir d’un certain moment, il va s’inspirer d’autres choses, lire des manuels, apprendre d’autres phrases et ainsi acquérir un vocabulaire suffisant pour parler lui-même. On est tous passés par là.

On a des tics de langage qui viennent de certaines personnes ; on a des façons de parler qui proviennent de certains livres… En dessin, c’est pareil. On apprend le langage de la BD en s’inspirant de BD déjà publiées, à la lecture desquelles on s’est dit : « Ce moment-là est super efficace pour raconter telle chose, la façon dont il a enchaîné les cases exprime vraiment tel sentiment du personnage… » On apprend comme ça : on accumule, on accumule et on reproduit. Je ne parle pas de copie, mais de reproduction. On reproduit des processus que l’on va s’approprier. Plus on a d’influence, plus on va avoir de vocabulaire. Au final, on va pouvoir improviser parce qu’on aura suffisamment de vocabulaire pour raconter une histoire.

Autre thématique au cœur de l’album… La gestion du temps ! À être efficace comme ça durant 24 heures, vous ne vous êtes pas dit parfois, en dehors du festival : allez, je m’y mets pendant 24 heures !

Je pense que la motivation est le problème principal. Au cours de cette journée, il y a un défi : le temps imposé. On est entre amis, c’est super. Je ne pourrais pas, chez moi, me dire : « Là, je vais bosser 24 heures ! » Au bout de 2 heures, il y aurait quelque chose qui m’interpellerait, un mail, un coup de fil. Et je me dirais : « Oh, je peux le faire demain. » Il n’y aurait pas suffisamment de tension. Après, il y a des « moments ». Par exemple, ça faisait longtemps que j’avais envie de faire une BD sous forme de petites animations. Un jour, j’ai trouvé mon idée : « Mais oui, c’est ça que je dois faire ! » L’excitation d’avoir trouvé a suffi à me tenir éveillé. Je m’y suis mis à midi et j’ai fini à 6 heures du matin, en travaillant sans interruption. J’avais entendu dire que quand Franquin [auteur de « Spirou »] faisait un album, il passait par une phase créative très dense, et, ensuite, il déprimait durant un an et il ne faisait plus rien. Je n’ai pas du tout de propension à la dépression, mais je suis pareil. On va me dire : « Il faut que tu rendes ton album en mai. » En févier, je vais me mettre en panique à travailler 12 heures par jour jusqu’à mai, et, après, je ne vais rien glander jusqu’à juillet. Dès le moment où je n’ai pas cette obligation de rendre quelque chose, je fais comme tout le monde : je glande chez moi et je regarde des séries télé.

Dans cet album, vous nous montrez comment votre temps de travail a évolué…

Plutôt positif comme message : finalement, on y arrive toujours ! Vous parlez aussi de la façon dont les gens perçoivent le métier de scénariste. Pas très encourageant pour ceux qui voudraient le devenir…

J’ai de la chance, je suis scénariste ET dessinateur, donc on voit le résultat de mon travail de scénariste. Le nombre de fois où j’entends des gens qui disent : « Oh, mais vous avez de la chance vous, vous n’avez qu’à imaginer des histoires… » Ils ne se doutent pas que c’est tout un travail : des heures de doute, de répétition, de pages froissées, jetées, de douleur, de panique aussi. « Est-ce que ce que je vais raconter va intéresser quelqu’un ? » On est seul avec un nombre incalculable de terreurs. Les gens nous disent : « Vous avez de la chance, c’est rigolo ! » Je pense que c’est un des métiers les plus sous-estimés du monde.

Et ces gens qui trouvent ce métier si « facile »… n’hésitent pas à vous donner des idées !

Il y a plusieurs choses qu’on entend en boucle quand on est auteur de BD. La première : « Mais vous en vivez ? » Ensuite, dès que quelqu’un va faire une connerie, du genre vous êtes à un repas de famille et on fait tomber un verre de vin, il y a toujours une personne qui va dire : « Ha ! Ha ! Tu vas pouvoir mettre ça dans tes BD ! » Souvent, notre métier est vu comme ça : raconter un truc rigolo sans se poser la question de savoir s’il y a une bonne façon de raconter les choses, plus ou moins efficace. J’avais un ami qui avait montré mes scénarios à ses parents. Ils avaient trouvé ça rigolo et m’avaient envoyé quelques idées. C’était consternant. J’avais répondu à mon ami : « Ok, on va dessiner leur scénario, mais à condition qu’ils me laissent faire leur boulot pendant une journée. » Les parents avaient été très vexés :  » Son boulot à lui ne demande pas 7 ans d’études ! » Non, c’est vrai, il demande un questionnement constant, il demande d’être intéressant ! C’est complètement intangible.

Il y a ces parents… Il y a aussi les lecteurs de votre blog qui veulent vous faire profiter de leurs éclats de génie !

Oui, j’ai intégré un mail authentique dans l’album. Je laisse aux lecteurs le plaisir de le découvrir…

À vous de continuer l’échange ! Scénariste, un métier qui vous tente ? Selon vous, à quoi tient une bonne histoire ? Avez-vous des blogs BD à conseiller ?