Interview BD : bienvenue chez les flics de « 22 » !

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Publié le 24/01/2014 par TRD_import_SoniaDéchamps ,
D'un cote, le quotidien des policiers de la BRB (Brigade de repression du banditisme) de Paris, de l'autre, celui des bleus de Police Secours. Et derriere ces histoires passionnantes a suivre dans "22, tome 1" : David Chauvel, scenariste, et Olivier Le Bellec, flic. Rencontre.

David Chauvel : « Je suis scénariste de bande dessinée depuis 24 ans et éditeur depuis huit ans, aux éditions Delcourt. J’ai fait un BTS [brevet de technicien supérieur] de commerce international durant lequel j’ai beaucoup dormi, auquel je n’ai rien compris et qui ne m’a servi absolument à rien. Excepté à faire plaisir à ma maman. Je voulais faire des études de palefrenier-soigneur, preuve que toutes les trajectoires sont possibles ! »

Comment êtes-vous donc devenu scénariste ?

DC : « En étant chômeur, une très belle activité qui laisse beaucoup de temps libre ! Plus sérieusement, j’étais effectivement chômeur et j’ai eu la chance de rencontrer, à Rennes où j’étais à l’époque, des professionnels qui m’ont aidé. Je suis entré dans un atelier où il y avait plein de jeunes dessinateurs qui sont quasiment tous devenus professionnels. Pendant quelques années, il y a eu une grosse émulation. C’était il y a 25 ans, à un moment où le marché de la BD recrutait beaucoup de jeunes auteurs. Il y en avait assez peu, on venait nous chercher. Maintenant, ce sont plutôt les auteurs qui viennent chercher les éditeurs, éditeurs qui partent en courant pour ne pas avoir à leur parler ou à regarder leur dossier, parce qu’il y a beaucoup de monde sur le marché. C’était plus simple à l’époque. »

Mais pourquoi le scénario BD ?

DC :  » Je me suis éveillé à la BD à 18 ans, en lisant ‘V pour Vendetta’. Avant, j’en lisais déjà, mais cela ne m’intéressait pas plus que n’importe quel gamin. J’avais arrêté le dessin, comme on arrête tous, entre 10 et 12 ans. À partir de là, j’ai été autodidacte. J’ai été aidé, comme d’autres, par les anciens. Ça existe encore aujourd’hui. Je pense qu’à peu près tous les scénaristes qui ont de la bouteille, à un moment ou un autre, regardent des dossiers, lisent des scénarios de jeunes scénaristes, et les aident. Il y a beaucoup d’entraide et un peu de cooptation. Aujourd’hui, il faut être acharné, la concurrence est rude. Beaucoup de gens veulent écrire, mais comme il y a beaucoup de personnes qui veulent faire de la musique, jouer dans des films, en réaliser, ou faire des jeux vidéo. L’industrie du loisir n’a jamais été aussi énorme qu’aujourd’hui. Du coup, il y a de moins en moins de place. Voilà, vous pouvez prendre un Prozac. »

Olivier, quel est votre parcours ?

Olivier Le Bellec : « Je suis flic à la BRB depuis sept ans. Je suis entré dans la police il y a 15 ans, par la petite porte, en tant que gardien de la paix. J’ai été affecté en Police Secours de nuit, dans le 93. C’est là que j’ai appris le boulot. Après, j’ai passé l’examen d’officier de police judiciaire et maintenant, je suis brigadier-chef. Grâce à quelqu’un qui compte dans ma vie, j’ai rencontré David. Je lui ai proposé un premier projet : il m’a dit que ce n’était pas terrible. Et puis j’en ai proposé un deuxième qu’il a trouvé pas mal. Quand il m’a dit que ce serait bien d’en faire une série, je lui ai demandé si ça l’intéressait de la faire avec moi… Et ça s’est fait comme ça ! »

Pourquoi la BD ?

OB :  » Petit, je rêvais d’être flic ou dessinateur de BD. Je me suis rendu compte que dessiner, c’était très compliqué. J’ai donc fait le plus simple : flic. Mais, au bout d’un moment, j’ai quand même eu envie d’écrire des petits trucs. »

David, qu’est-ce que vous avez aimé dans ce que vous a fait lire Olivier ?

DC : « La vérité de ce qu’il avait vécu en tant que personne, au-delà de l’aspect polar ou de l’aspect technique. J’ai aimé sa manière de raconter ce qu’il avait vécu, son ressenti de policier. Et même au-delà du policier. En tant que scénariste, j’ai fait beaucoup de polars et j’ai parfois raconté des histoires du point de vue des truands. Je ne classifie pas en bien ou en mal, je raconte la vie des gens. J’ai rencontré Olivier, alors j’ai raconté la vie d’un flic dans laquelle j’ai retrouvé des éléments humains, des éléments qui m’ont touché, des choses avec lesquelles j’étais d’accord, d’autres peut-être un peu moins, mais je me suis trouvé confronté à la réalité brute d’une personne. J’aurais tout à fait pu rencontrer un braqueur et faire un livre avec lui dans lequel il aurait raconté sa réalité. Je ne porte pas de jugement sur ce que vivent les gens. Les voleurs volent, les policiers leur courent après, ça me semble normal. Je n’ai pas de problème avec ça. Tant qu’on ne tire sur personne, tout va bien. »

Cet album mêle fiction et réalité…

OB : « Nous sommes vraiment deux scénaristes. J’écris des histoires, il en écrit d’autres, et on mixe. Dans la série, il y aura des histoires inspirées du réel, d’autres qui seront des idées de David et personne ne le saura. Le principal, c’est que le lecteur y croit et prenne du plaisir à lire. »

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David, est-ce qu’il vous est arrivé d’avoir des idées et qu’Olivier vous dise que… non, que cela ne peut se passer comme ça dans la réalité ?

DC : « Très souvent. Une bonne partie de chaque tome est basée sur ce qu’Olivier écrit. Mais il y a des choses que j’invente et parfois, il me dit que ce n’est pas possible. Alors, on discute du ‘pas possible’. Il y a “pas possible”, “pas crédible”, et il y a le “pas possible” dont moi je me fous complètement. Je me moque que ça empêche de dormir quelques flics, si ça n’empêche pas de dormir les milliers de lecteurs qui vont lire l’album. Chacun met la barrière où il veut. À partir du moment où cela reste crédible dans l’histoire, j’estime qu’on peut le faire. »

OB : « J’ai compris en travaillant avec David que, parfois, le fait d’être flic peut handicaper dans l’écriture du scénario. Si on se met à mettre trop d’éléments techniques par exemple. »

Dans l’album on suit d’une part une enquête de la BRB et d’autre part une équipe de bleus… Cette construction, en parallèle, était une évidence ?

OB : « Au départ, j’avais écrit d’un côté des petites séquences avec des bleus et de l’autre des enquêtes. David a eu l’idée de mixer tout ça. « 

DC :  » Les enquêtes de la BRB sont longues, avec beaucoup d’attente, ça ne se prête donc pas à la narration, en tout cas en BD. On peut traiter cela en roman, parce qu’on va entrer dans la psychologie des personnages. La BD a d’autres impératifs. On ne peut pas raconter une enquête avec deux personnes qui passent, sur trois semaines, 90% de leur temps à faire une écoute ou à être planqués dans un camion anonyme. Ou bien, il faut se mettre à raconter autre chose : leurs histoires propres, ce qu’ils pensent, etc. Là, ce n’était pas le cas. Il fallait impulser quelque chose de plus dynamique. Intégrer les épisodes avec les bleus, faire un montage très rapide, a servi à dynamiser ces enquêtes de la BRB. »

Dans cette BD, il y a une femme, Inès… La police se féminise ?

DC : « Inès est le personnage féminin des bleus de Police Secours. On est en train d’écrire le tome 4 et elle a un peu pris le pouvoir dans la série. Pourtant, on ne s’y attendait pas. Elle a développé une espèce de personnalité autoritaire. »

OB : « Dans mon groupe, nous sommes 7 et il y a une fille. Je n’ai pas les statistiques, mais j’ai l’impression que, oui, la police se féminise de plus en plus. »

Dans cet album, on voit qu’il n’y a pas de frontière étanche entre vie personnelle et vie professionnelle…

OB : « On a tendance à penser qu’un policier qui met un uniforme ou un brassard oublie complètement ce qu’il est. Il arrive au boulot avec ses problèmes privés et cela peut influencer sa journée. Si vous arrivez de mauvaise humeur, vous pouvez être moins intelligent, moins prompt à bien répondre à certaines choses. Quand on a la responsabilité qui est la nôtre, on devrait être toujours impartial, objectif… On tend à avoir ces qualités, mais ce n’est pas si simple dans la vie. La vie privée a des influences sur votre métier, et l’inverse est aussi vrai. »

Olivier, vous êtes aujourd’hui à la BRB, c’est « le » poste que vous vouliez ?

OB :  » C’était mon rêve ! Les grands cambrioleurs, les grands casseurs, les grands braqueurs… En Police Secours de nuit, j’ai appris à observer, faire attention, voir certaines réactions. J’ai appris des règles de base pour le métier. Ensuite, j’ai été pendant trois ans au service de l’exécution des décisions de justice. C’est un peu être chasseur de primes sans les primes. Vous devez chercher les personnes qui sont condamnées par la justice et qui ne se présentent pas. Et puis, la BRB. Au départ, ça n’a pas été facile. Il faut apprendre le métier. Les policiers en uniformes sont faits pour être vus. Là, j’ai dû apprendre à ne plus être vu, à suivre quelqu’un, faire des écoutes téléphoniques, avoir des relations avec des indics…  »

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Dans l’enquête, les braqueurs que cherche à coincer la BRB agissent en duo…

DC : « Il y a un braqueur professionnel, proche de la retraite et expert en explosifs, et un jeune homme riche, issu de la très bonne société. Ce dernier fait ça pour l’adrénaline, pour les émotions que cela lui procure. J’imagine qu’il a tout eu et qu’à 25 ans, il doit se faire chier, avoir l’impression d’avoir fait le tour de tout ce qui était possible. La différence de leurs motivations va petit-à-petit les éloigner, mais aussi les mettre en danger. Dans sa recherche d’émotions fortes, le jeune homme va finir par oublier la prudence. Parce qu’il n’a pas l’âge et pas conscience de ce qu’il fait, il oublie à quel jeu il est en train de jouer vraiment. Ce personnage n’est pas idiot, mais à aucun moment il ne pense qu’il peut passer 20 ans en taule. Il n’y pense pas. »

Cette recherche de l’adrénaline, elle se retrouve souvent chez les gens que vous arrêtez ?

OB : « Nous, les flics, sommes les premiers à aimer ça. J’imagine que certains de ces voyous en ont besoin, mais le moteur premier reste quand même le pognon. »

DC : « Pour l’histoire, on a quand même cherché un cas de figure un peu inhabituel. On aurait mis des braqueurs issus de la banlieue, on nous aurait dit que c’était ce qu’on voyait déjà à la télé. Il fallait chercher quelque chose d’un peu plus surprenant… et crédible. »

La télé, les journaux… on se dit souvent en découvrant des faits divers que cela ferait de super-histoires, ce n’est pas forcément le cas ?

DC : « Quand on lit, sur un article de presse qui fait 100 lignes, les faits bruts d’un fait divers, on trouve ça génial, mais quand il s’agit de faire un bouquin de 100 pages, c’est une autre affaire. Il faut rentrer dans la psychologie des personnages, trouver un angle d’attaque pour l’histoire. Subitement, on peut très vite se trouver sur le carreau. La réalité est toujours plus incroyable que ce que l’on peut inventer en fiction, mais pour autant, on ne peut pas forcément en faire une bonne histoire. C’est vraiment une question de point de vue, de personnages et d’approche narrative. Il y a des pièges. Ici, on a choisi de raconter le point de vue des enquêteurs, mais de raconter aussi la vie des braqueurs. On aurait très bien pu les laisser anonymes et ne montrer que le résultat des braquages. On a décidé de les montrer un peu plus, mais ils ne deviennent pas pour autant les protagonistes. Cela reste quand même l’histoire d’une enquête. »

Cet univers fascine, comment l’expliquez-vous ?

OB : « Je ne sais pas trop. Quand je suis invité à des repas, dès que je dis que je suis flic, j’ai droit à tout un tas de questions. Les gens me racontent aussi tous leurs malheurs : ‘On m’a verbalisé’, ‘j’ai vu des policiers qui faisaient cela…’ C’est un métier qui fascine. On parle de ‘grande’ et de ‘petite’ police, mais j’ai autant de respect pour ceux qui portent l’uniforme, qui sont en bleu et gèrent le quotidien, que pour les collègues qui sont en PJ (Police judiciaire), à la BRB. »

C’est une fascination que vous aviez David ?

DC : « Non. Moi, je suis fasciné par les truands, parce qu’ils sont plus libres. On vit tous sous les règles de la société et on est bien contents que celles-ci nous protègent. Mais à l’intérieur de chaque personne, il y a un désir de liberté et de s’affranchir des règles. C’est ça qui fascine les gens chez les braqueurs. Après, il peut y avoir un regard moral sur le fait qu’ils volent. Et quand on rentre chez soi après s’être fait voler sa bagnole, on trouve le vol beaucoup moins bien qu’à la télé. Mais la figure du bandit a toujours été la figure de la liberté, donc cela fascinera toujours les gens. »

OB : « Sans parler d’admiration, même nous, flics, apprécions de voir travailler des beaux voyous. Je n’ai pas, a priori, d’empathie ou d’antipathie pour eux, je fais mon boulot, c’est le jeu du chat et de la souris. Je préfère quand je gagne et qu’ils perdent, mais il m’est aussi arrivé de perdre. Ça permet de se remettre en cause et d’être assez humble, de s’adapter, d’essayer d’évoluer tous les jours et de tendre à être le meilleur flic possible pour résoudre des affaires. »