Gothique, provoc’, métalleux… : mais pourquoi ce look au bahut ?

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Publié le 19/09/2014 par TRD_import_MariaPoblete ,
À la fac, au coll ege ou au lycee, on ne peut pas les rater avec leur style tres affirme. Un look qui parfois passe mal, et pas seulement aupres des profs ou des parents… Besoin de provoquer ? De choquer ? De se "cacher" ? Paroles d'extralookes pour comprendre pourquoi ils s'habillent comme ça.

_ « Les gens croient que tu es bizarre » : pour les « lookés » r asta, gothique, métalleux… le regard des autres n’est pas toujours facile à soutenir. // © Fotolia._

Tristan, 18 ans, ne passe jamais inaperçu. Sa longue chevelure, sa tenue noire, son long manteau de fourrure, acheté à la foire de Provins (77) et posé sur les épaules, ainsi que ses yeux maquillés et sa corne pour boire font de lui un jeune homme au look hors du commun. Élève en terminale STMG au lycée Ravel, à Paris, il est « plutôt fier » de son attirail. « C’est une synthèse de ce que j’ai vécu pendant mon adolescence, de ce que j’ai assimilé, de mes périodes geek, métal et médiéval, dit-il. Aujourd’hui, je suis un mix de tous mes goûts culturels, j’ai pioché et j’ai trouvé mon style ! »

« Les gens croient que tu es bizarre »

Ses parents ne sont pas contre tant qu’il continue à étudier sérieusement. Côté enseignants, il a dû expliciter son look et la culture qui va avec, « mais ensuite, ils étaient plutôt amusés, et puis cela ne change rien à mon investissement scolaire », assure-t-il. C’est du côté des camarades du lycée que le jugement a été le plus sévère. « Le regard est parfois dur à soutenir, les gens croient que tu es bizarre, la différence n’est guère acceptée ! » Tristan sait aussi qu’il va grandir, évoluer, changer. Il n’empêche, il voudrait garder « au moins » ses cheveux longs.

« Nous vivons dans une société de l’image et du spectacle, l’apparence préoccupe énormément les adolescents », explique David Le Breton, sociologue, auteur de « Conduites à risque (éditions PUF).  » Tous les signes de l’identité sont importants pour être reconnu ou remarqué, ces signes s’inscrivent sur le corps, les vêtements. Et c’est un plaisir de s’amuser avec son look. Il y a une relation ludique, on fait un jeu de son existence, à un âge où on cherche à savoir qui on est et qui on sera. »

« Plus je me maquillais, plus ça énervait ma mère et plus je kiffais »

C’est aussi en adoptant des tenues singulières que les jeunes gens tranchent avec l’ordre établi, la famille, les parents. « Grandir, c’est s’affranchir, passer de la dépendance à l’autonomie totale, et l’adolescence est la dernière étape de ce chemin, explique le docteur Olivier Revol, pédopsychiatre. Pour que cette étape puisse avoir lieu, il faut se démarquer avec des manifestations d’opposition et de rébellion qui passent par des changements radicaux et visibles. »

Julia, 17 ans, élève en première L au lycée Pierre-Brossolette, à Villeurbanne (69), regarde derrière elle. « J’étais une vraie peste l’an dernier, plus j’accumulais de bracelets et plus je me maquillais, plus ça énervait ma mère et plus je kiffais son énervement », dit l’ex-« ado pénible, une vraie tête à claques ! » comme elle s’autodéfinit. « Ma mère m’a habillée jusqu’à la fin du collège, je n’en pouvais plus de ses petits pulls. Alors, quand je suis entrée au lycée, c’était la fête, je me suis sentie pousser des ailes… J’avoue, j’aurais pu adopter une méthode un peu plus douce, mais bon, c’est tout ce que j’avais trouvé. »

« La crise a duré de la fin du collège à l’année de première »

Tout est bon pour choquer et jouer aux épouvantails à adultes. En dehors du maquillage outrancier, des décolletés et des vernis fluo, le genre « gothique » est bien apprécié aussi. La preuve par Agathe, aujourd’hui en L2 de biologie, à Paris. Difficile d’imaginer cette sage étudiante de 21 ans, qui se destine à travailler dans un laboratoire, les cheveux décolorés ou bien teints en rose ou vert, selon les soirées ou son humeur.

« La crise a duré de la fin du collège à l’année de première. Plus ma mère hurlait, plus j’en rajoutais, dit-elle. J’avais besoin de la mettre très à distance, j’avais envie de lui dire clairement qu’elle ne s’occuperait plus de mes habits et qu’elle n’avait pas à donner son avis sur mes choix. Cela semble bête après coup, mais je me suis éloignée d’elle… pour la retrouver plus tard, sans problème ! » Son conseil, surtout aux filles : « Vivez votre vie loin de votre mère, c’est bien et c’est constructif, mais allez-y mollo : ne tirez pas sur la corde parce que primo, on s’abîme les cheveux, deuzio on finit par prendre des risques à trop vouloir en faire. »

« J’étais la seule avec ce look et j’aimais me démarquer… »

Les limites, Neena, 22 ans, en L3 de cinéma à Paris 8, se les est imposées seule, à l’entrée au lycée.  » Dès la cinquième, j’ai adoré la mode et la culture gothiques, les vampires, les films fantastiques avec leur côté gothico-romantique, se souvient Neena. J’étais la seule avec ce look et j’aimais me démarquer… même si je m’agaçais des réflexions des autres élèves. Ils me demandaient si j’aimais Satan ou si j’égorgeais des chats noirs ! »

Énervée par cette attitude, elle en a rajouté, passant aux bracelets avec piquants et au sac à dos avec pointes… jusqu’à ce que les remarques du principal la contraignent à remballer une partie de ses accessoires. Elle a débarqué au lycée avec son look gothique, pour s’affirmer, puis l’a abandonné. « Je sentais que je n’avais plus besoin de tout ça pour me protéger des autres, ils devaient me voir, moi, comme je suis réellement, et pas derrière cette carapace. »

Le pédopsychiatre Olivier Revol confirme : « Certains ados adoptent une tenue quasi guerrière, une sorte d’armure, quand ils ne sont plus en conflit, ils peuvent la laisser tomber. » Neena est d’accord. Elle garde cependant sur elle un objet qui lui rappelle son adolescence : elle ne quitte pas son collier à tête de mort…

« Je porte une chemise ou un tee-shirt noirs, été comme hiver »

Lucien, 19 ans, en L1 en mathématiques à Orsay, après avoir arboré un total look métalleux, a conservé, lui, la couleur noire. « Je porte une chemise ou un tee-shirt noirs, été comme hiver, note-t-il. C’est ce que j’ai trouvé de mieux pour ne pas trahir les idéaux de mon adolescence, cette période de ma vie riche en événements, en surprises et en découvertes. C’est ma façon d’être raccord avec moi-même. »

La fidélité à sa « jeunesse », Virginie, 18 ans, en terminale S au lycée Condorcet, à Paris, la chérit en se « lookant » de temps en temps, le week-end.  » J’avais un style provoc, très à la mode, avec les dernières marques, le sac parfait, les chaussures à talons, le maquillage impeccable, précise la jeune fille. Désormais, non seulement j’ai moins de temps parce que mes études me passionnent mais, en plus, ça passe mal dans un bahut comme le mien, alors je me fais plaisir le samedi, je me maquille et m’habille comme avant, sauf que là, c’est un jeu ! »

« Pour passer partout, j’ai coupé ma crête et remonté mes pantalons »

Un recul que certains mettent quelques années à adopter. Romain, 25 ans, étudiant en merchandising d’espace à la chambre de commerce et d’industrie de Paris, arborait, il y a cinq ans, une crête volumineuse, des pantalons très larges qui lui tombaient sur les fesses et des bijoux clinquants. « J’ai passé une année à Londres où personne ne te juge, explique-t-il. En rentrant à Paris, je me suis assagi. »

Normal, sa position dans la société a changé. Il l’accepte. « C’est la règle, je m’adapte au jeu social, j’ai besoin de passer partout, j’ai coupé ma crête et remonté mes pantalons, sinon je m’excluais moi-même des études et du marché du travail !  » Pour autant, il continue à aimer la mode, les vêtements, les belles choses, les silhouettes travaillées. « Je fais attention à moi, je veille à être impeccable, avec de bonnes chaussures adaptées à la situation, aux amis et aux lieux où je me rends. »

Des jeunes comme Romain, Jean-Pierre, professeur de philosophie en région parisienne, en a pléthore dans ses cours. « Les adolescents croient être uniques en se créant des apparences travaillées, mais ils sont formatés, affirme-t-il. Je ne les juge pas, au contraire je suscite un débat en classe. J’essaie de faire passer l’idée que l’originalité est intéressante dans l’action, les idées et la construction de la personnalité. »

Peu importe de se fondre ou non dans la masse, d’être habillé en rose ou vert, le plus important n’est-il pas de devenir soi-même ? Ce sera votre devoir de rentrée : la liberté est-elle soluble dans un look qui dérange ?

L’avis d’expert : « Provoquer, c’est chercher à communiquer »

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Olivier Revol, pédopsychiatre, est l’auteur de « On se calme » et « Ï’ai un ado… mais je me soigne », aux éditions Jean-Claude Lattès._

« Les adolescents dépensent beaucoup d’énergie à multiplier les signes extérieurs, montrant à leurs parents qu’ils ne font plus partie de leur monde. Ils ne sont plus les petits dont on choisissait les vêtements. Alors, oui, cette recherche de look peut aller plus loin, jusqu’à la provocation. Il n’y a rien d’inquiétant à cela. ‘Provocare‘ signifie ‘susciter la parole de l’autre‘. Lorsque les parents rejettent cette demande de communication, ils sont dans le déni. Or ce que cherchent les adolescents, c’est savoir comment étaient leurs parents à leur âge. Ils ont un énorme besoin d’échanger, de parler, de donner du sens à leur vie. Et cela semble paradoxal : même s’ils s’éloignent du cocon familial, ils ont besoin d’entendre des sujets forts, des récits de famille, d’identité, de racines. Plus les parents ­ignorent ces demandes, plus l’ado risque de faire n’importe quoi, y compris de se mettre en danger. »