« Gaffeur, maladroit… C’est tout moi ! »

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Publié le 29/04/2016 par TRD_import_MariaPoblete ,
Vous renversez votre café sur votre dissert, vous touchez un verre et il se casse, vous vous cognez dans les poteaux… On vous dit casse-cou, casse-tout ? Voici quelques pistes pour changer… un peu !

« Un article sur les maladroits ? C’est tout moi ! Je suis le spécialiste, demandez à mes profs, mes amis et à ma famille, ils sont unanimes ! Un beau spécimen ! » François, 16 ans, élève en première S au lycée Bignon de Mortagne-au-Perche (61), assume avec humour.  » Je suis à côté de la plaque, un vrai tête en l’air. Je fais les choses à moitié ou de travers : je soulève un verre trop vite et je le renverse, je trébuche dans la rue. Je casse un objet par semaine », énumère-t-il.

Cette situation remonte à deux ans, au début de son adolescence.  » Quand j’ai commencé à grandir et à changer, il y avait comme un décalage ou une déconnexion entre ma tête et mon corps dans certaines situations. Je suis aussi quelqu’un de très cérébral, ce qui n’arrange pas mon affaire. Je réfléchis à tout, mon cerveau turbine sans arrêt ; parfois, je pense, je pense… Et je dois me forcer à revenir à la réalité et à ses aspects basiques. » François compense en se concentrant à certains moments pour ne pas trébucher, oublier, bafouiller ou servir le thé à côté de la tasse. « C’est épuisant », souffle-t-il.

Oui, c’est fatigant de grandir. La réalité est complexe, les pressions nombreuses. Bref c’est la « tempête », comme dit Olivier Spinnler, psychothérapeute et psychiatre, spécialiste des émotions et de la jeunesse (1) : « Il faut répéter que les chamboulements physiologiques et hormonaux sont nombreux et peuvent durer. À cela s’ajoute la problématique de la construction de l’identité qui occupe l’espace mental. Tous ces phénomènes nouveaux exacerbent la sensibilité des jeunes. Ils peuvent avoir la sensation que le sol se dérobe, ça tangue, c’est hyperinconfortable ! »

Inconfortable et déstabilisant. Ajoutez à cela l’inachèvement du lobe frontal du cerveau, qui limiterait les capacités d’organisation et de prise de décision, vous avez un panorama assez clair. Maladresse et aspect pataud s’expliquent.

Comprenez ce corps qui change

Louise, 24 ans, en licence troisième année géographie à l’université Paris 1, se remémore l’adolescente qu’elle était. « J’ai souffert de ma maladresse, dit la jeune femme, qui estime que le sujet est tabou. Entre 12 et 18 ans, j’ai des souvenirs de réunions familiales où mon corps empoté était un sujet de conversation et de sarcasmes, parce que je cassais un verre, je renversais le plateau de cafés en les servant. Plus ça allait, plus j’étais maladroite. Je m’énervais contre mes parents à ce sujet, ils disaient que j’avais deux mains gauches. J’étais stressée. J’avais une telle pression du style : ‘ma pauvre fille, tu vas encore foirer’, que cela se terminait en général mal et… je cassais un truc ! »

Louise n’a eu conscience de son « enveloppe corporelle » que récemment, en s’inscrivant dans un cours de yoga.  » J’ai compris, tardivement certes, que j’étais fâchée avec mon corps de femme , mes rondeurs me dérangeaient, je me sentais trop grosse, trop imposante, je rêvais d’être fine et gracieuse. En yoga, j’ai découvert que la souplesse et l’allure sont en nous et que, si l’on travaillait un peu sur la prise de conscience de son corps, on serait des ados moins mal dans notre peau ! »

Abusez de l’humour

Les maladresses de ce corps qui échappe et les petites moqueries qui vont avec, Maxime, 17 ans, en terminale S au lycée Daguin à Mérignac (33), a décidé de les « transcender » avec une arme efficace : le rire. L’humour est utile non seulement pour détendre une atmosphère électrique, désagréable ou dédramatiser une situation qui met mal à l’aise (des parents qui rouspètent parce que vous allez faire tomber le verre que vous tenez dans la main, des amis qui rigolent parce que vous venez de vous prendre un poteau dans la rue…), il sert aussi d’antidépresseur !

« Je préfère en rire qu’en pleurer, alors je suis souvent dans l’autodérision. J’annonce la couleur d’emblée à mes copains. J’anticipe quand je sens que l’on va se moquer de mes chaussettes dépareillées, de mon pull à l’envers, de mes gaffes monumentales en classe, explique Maxime. Le seul souci, c’est la réaction des enseignants, certains n’apprécient pas du tout mes blagues en cours, alors je me tiens à carreau. Et comme je sais qu’ils sont énervés avec mes copies pleines de traces de beurre du petit-déjeuner, je garde l’humour pour les copains et la famille… » Message reçu !

Programmez votre attention

Jean-Philippe Lachaux (2), chercheur en neurosciences, démontre que la maladresse est parfois liée à un défaut d’attention. « Il y a des gestes qui se font de manière automatique, déclare-t-il. On répète le schéma qu’on connaît, par exemple, prendre un verre, on sait grosso modo comment faire ; étendre le bras. Ce qui change quand on n’est pas concentré sur ce geste, c’est qu’on ne vise pas précisément, alors on le lâchera ou on ne l’attrapera pas. Pour obtenir ces informations fines, il est nécessaire de faire attention et bien viser. »

Pour le chercheur, il faut  » être dans le geste pour être attentif, cela commence simplement par reconnaître le besoin d’attention. Généralement, on estime mal ce niveau, on pense que ce ne sera pas difficile et que ça va passer… » Il suffit de vous connecter et de vous motiver ! Lucas, 15 ans, en seconde au lycée Jean-Perrin à Lyon (69), le reconnaît : « Quand je ne veux pas être taxé de raté en sport, je m’applique et j’y arrive, avoue-t-il. Quand je m’en fiche, je m’en fiche ! » « C’est exactement cela, s’exclame Jean-Philippe Lachaux. Les adolescents contrôlent bien ce qu’ils aiment bien faire et ce qu’ils veulent réussir. Ils peuvent être hyperstimulés et donc hyperattentifs ! » Faites le test sur une journée : à quels moments correspondent vos périodes « dans la lune » ?

Éliminez les distractions

Les miss et mister Catastrophe peuvent certes avoir quelques ennuis de vaisselle cassée et des moqueries, mais ils risquent aussi de perdre quelques points à leur moyenne générale. Tout peut s’enchaîner. Gare aux conséquences. Pour pallier cette dispersion, Léo, en licence première année sociologie anthropologie à l’université Paris 8, a commencé par éliminer les distractions.

« J’ai fait le ménage sur mon bureau en rangeant les objets qui l’encombraient ; il y en avait partout ! J’ai organisé mon travail avec le moins de choses qui pourraient attirer mes yeux. Cela peut sembler étrange, mais ma maladresse est en rapport avec le fait que tout part dans tous les sens, mes idées, les feuilles de mes classeurs, tout. Depuis ce changement, je me sens de plus en plus centré, donc moins brouillon. »

Trouvez le sport qui vous convient…

Élise, 23 ans, en master première année droit international à l’université Paris 1, a eu besoin de passer par une discipline sportive pour « trouver son centre ». « Mes parents m’ont toujours dit que j’étais une enfant maladroite. Je dansais mal, je me cognais partout, j’étais raide, sourit-elle. Je m’appliquais pourtant en classe, et j’ai même sauté le CP [cours préparatoire] parce que je savais lire à 5 ans. À 10 ans, ils m’ont un peu poussée à m’inscrire à la natation synchronisée. Après des débuts compliqués – les entraînements étaient durs physiquement –, je me suis prise au jeu. Je me suis assouplie et détendue, j’étais moins raide et plus souple, plus consciente de mon corps. Ça m’a énormément aidée.  »

Élise continue à pratiquer la natation, ainsi que la course à pied. « Le sport détend bien sûr et participe de la réussite scolaire, mais, en plus, il permet de prendre conscience de l’espace ! » assure-t-elle.

… Et ne vous énervez pas

Sport, yoga, relaxation, travail sur l’attention, les pistes sont nombreuses et toutes intéressantes à tester. Celle que François, 16 ans, conseille est simple :  » Surtout ne jamais s’énerver, rester calme et serein, rien n’est grave. Une tasse est cassée ? C’est matériel, le sacrifice est minime ! »

(1) « Vivre avec les autres », Olivier Spinnler, éditions Odile Jacob.

(2) « Le Cerveau funambule », Jean-Philippe Lachaux, éditions Odile Jacob.

Avis d’expert

Michèle Mazeau, médecin de rééducation, spécialiste en neuropsychologie infantile.

« Les jeunes qui renversent des objets, qui n’arrivent pas à apprendre de nouveaux gestes, qui se perdent dans un lieu qu’ils connaissent, qui ont des problèmes de graphisme (la liste n’est pas exhaustive !) peuvent être atteints d’un petit handicap pas grave qui s’appelle la dyspraxie. C’est un trouble de l’organisation gestuelle et spatiale.

Pour bien comprendre d’où ça vient, il faut savoir que les bébés arrivent au monde avec une boîte à outils pour développer toutes sortes de compétences. La boîte à outils de certains n’est pas parfaite. Et cette imperfection peut avoir des conséquences assez importantes dans votre vie ou dans votre scolarité.

La dyspraxie, comme la dyslexie, ne se guérit pas, mais vous apprendrez à vivre avec et à compenser.

Avant cela, il est indispensable d’établir un bilan, puis de mettre en place une rééducation, avec un orthophoniste, un médecin, un ergothérapeute. Vous devez d’abord connaître et comprendre votre trouble. Il y a des explications simples à donner sur le fonctionnement du cerveau, la lenteur qui n’est en rien un manque ou une intelligence moindre. Il n’y a rien de pire que de ne pas savoir pourquoi on est comme ça ! »

Pour trouver de l’aide

www.sosdyspraxie.com