BD : « Gold Star Mothers », une croisière particulière

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Publié le 12/10/2017 par TRD_import_NatachaLefauconnier ,
En 1917, les États-Unis entraient dans la Première Guerre mondiale. Dix ans plus tard, le Congrès vote un budget afin que les mères et veuves des soldats tués en Europe puissent aller se recueillir sur les tombes de leurs chers disparus. Un périple historique et émouvant, superbement illustré dans cet album de Catherine Grive et Fred Bernard.

Le 7 mai 1930, Jane embarque avec sa mère, Mrs Smith, et quelques centaines d’autres femmes sur le paquebot America.

Pèlerinage

Ce n’est pas un voyage d’agrément, mais un pèlerinage. Toutes ces Américaines ont perdu un époux ou un fils durant la Première Guerre mondiale. Or, la moitié des corps des 116.000 soldats morts sur le Vieux Continent n’avaient pas pu être rapatriés. Douze ans après la fin du conflit, le Congrès américain a donc organisé des traversées aux « Gold Star Mothers » , du nom de l’association créée par la mère d’un vétéran.

Jane, qui a dû faire le deuil de son grand frère bien-aimé, devra gérer ses émotions (et sa mère !) durant le périple qui les mènera jusqu’à Verdun. Heureusement, elle se lie d’amitié avec une jeune veuve, Clara, avec qui elle partage souvenirs et confidences. En réalité, plus que la tristesse, c’est la joie d’être ensemble qui rapproche toutes ces femmes.

Un fait historique méconnu qu’on découvre dans ce journal de bord tout en délicatesse et plein d’humour – un mélange soigneusement dosé par la scénariste Catherine Grive. Les fans de la formidable série « Jeanne Picquigny », de Fred Bernard, reconnaîtront son dessin, ici mis en couleur aux crayons. Et si l’héroïne de « Gold Star Mothers » s’appelle Jane, c’est bien une coïncidence et non un clin d’œil à la série de Fred, assurent les auteurs ! (voir leur interview ci-dessous)

« Gold Star Mothers », de Catherine Grive (scénario) et Fred Bernard (dessin et couleur), éditions Delcourt, août 2017, 112 p., 16,95 €.

© Fred Bernard / Delcourt 2017

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**Trois questions aux auteurs

Comment vous est venue l’idée de ce récit ?**

Catherine Grive : C’est en réactualisant un guide sur les cimetières militaires que je suis tombée sur un entrefilet parlant de l’association des Gold Star Mothers. Je me suis donc documentée sur les voyages en paquebot faits par des femmes entre New York et Cherbourg au début des années 1930. C’est ainsi que j’ai retrouvé des listes de voyageuses qui m’ont inspiré les noms de mes personnages. J’ai pioché aussi dans les lettres où ces femmes racontaient leur traversée, l’organisation, les conditions du voyage, leur « infantilisation », puisque tout était pris en charge par l’armée… J’ai utilisé certaines de leurs réflexions dans l’album, comme lorsque leur bus frôle les murs d’une ruelle : « Une couche de peinture en plus, on ne passait pas ! »

Pourquoi avoir choisi de mettre en couleur ce récit sur les thèmes de la guerre et du deuil ?

Fred Bernard : Premièrement, parce que c’est un format court, contrairement à ma série « Jeanne Picquigny » ! Et surtout, parce qu’ on représente souvent le passé en sépia… Or, il y avait des couleurs dans le passé ! Ces femmes n’allaient pas à un enterrement, mais à Paris. Elles ont dû emporter leurs plus beaux vêtements pour ce voyage. Il se trouve que j’avais amassé pas mal de documentation sur les robes de cette époque. Ça m’a été utile pour les modèles et les motifs portées par les personnages de Catherine.

Catherine Grive : Les couleurs sont d’ailleurs très tendres, pas tristes du tout !

On découvre un élément historique oublié grâce à votre album. Pensez-vous que la bande dessinée soit de manière générale un bon vecteur d’apprentissage ou que la « BD pédagogique » est une manne commerciale ?

Fred Bernard : Les deux remarques sont vraies ! Dans « Tintin » ou « Corto Maltese, on apprenait déjà plein de choses… Certaines BD, qui n’avaient pas cette intention, ont eu cet effet-là. C’est un médium comme un autre ! Dans « Gold Star Mothers », je voulais par exemple mettre des femmes noires sur le bateau, mais Catherine m’en a heureusement empêché…

Catherine Grive : Et pour cause ! Les femmes noires ont subi la ségrégation : elles n’ont pas eu le droit de voyager avec les femmes blanches. Elles ont pu faire leur pèlerinage mais dans des groupes spécifiques , avec une traversée en deuxième classe… C’est important de le savoir, d’où les deux pages de précisions historiques à la fin du livre !